Yvette Gressard,
Saint-Gengoux-le-National
(Saône-et-Loire)
Je tenais un café au Creusot. Jean, mon mari, qui militait à l’UL CGT et qui travaillait à l’usine, m’a dit un soir : « Tu sais, je ne sais pas si je serai beaucoup à la maison dans les jours à venir, il faudra que tu gères toute seule le café, les enfants, et je ne sais pas combien de temps ça va durer. »
Effectivement, je ne l’ai pas beaucoup vu. Comme la majorité de mes clients, il faisait de courts passages. Leur planning à eux était bien réglé. Ils continuaient de faire les postes, les trois-huit, pour garder les portes, ceux qui l’ont vécu comprennent. Le soir, ils venaient débattre et commenter la télé (elle n’était pas chez tout le monde à l’époque), y compris des gens qui n’avaient pas l’habitude de fréquenter les bistrots mais qui savaient trouver là matière à débats. Depuis longtemps les journaux et l’Huma étaient étalés sur le billard à disposition de tous… Ce fut vraiment un moment fort pour la rencontre de gens qui s’ignoraient avant.
De vivre ces moments m’a confortée dans ce qui était inconsciemment en moi. Une amie, Micheline, avait organisé une réunion à la mairie pour réunir des femmes grévistes et femmes de grévistes afin de mettre sur pied des collectes de soutien. J’étais invitée. J’y ai rencontré des femmes formidables et c’est là que j’ai compris leur place dans la société.
Après 1968, rien n’a plus été comme avant. Déjà, nous avons senti une amélioration dans le chiffre d’affaires, qui était somme toute bien modeste. Je n’avais qu’un petit café de quartier, mais les augmentations obtenues avaient donné de l’air.
La reprise n’a pas été toute seule. Le « il faut savoir finir une grève » repris par le responsable syndical de l’époque a fait grincer des dents. Je me rappelle toujours la réflexion d’un copain un peu amer quand il a fallu retourner dans « la boîte » : « On n’a plus le choix, y a plus qu’à voter Mitterrand. » La suite, d’autres l’ont écrite mieux que moi. En septembre des camarades m’ont emmenée à la Fête de l’Huma : « Pour te distraire, m’ont-ils dit, tu vas voir, c’est formidable, il y a des spectacles, des débats… » J’ai fait la vaisselle et servi des repas les deux jours sans arrêt sur le stand de Saône-et-Loire et je n’ai rien vu du tout. Mais, au retour, Charles avait réussi à me convaincre de prendre ma carte du Parti. Je ne l’ai jamais regretté. Je mourrai sûrement avec…
l' Huma du 12 / 08 / 08
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