Le discours de Nicolas Sarkozy ou un véritable délit de l’altérité
Par Pierre BOUKHALFA le jeudi 2 août 2007, 21:47 - Contre tous fascismes - Lien permanent
Le président de la république française, Nicolas Sarkozy, a raté l’occasion de dire la vérité devant les jeunes africains à Dakar. Alors que son discours se voulait une leçon de franchise comme il le prétendait, on a plutôt assisté à un étalage d’inexactitudes et de démi-vérités, bref un tissu d’insultes.
L’homme qui voulait nettoyer les banlieues françaises au karcher s’est aventuré sur un terrain qu’il maîtrise peu. Il s’est contenté d’affirmations péremptoires. Des demi-vérités, le président Nicolas Sarkozy veut voir émerger ce qu’il appelle l’Eurafrique, un projet qui n’est pas en soi nouveau. « Ce grand destin commun qui attend l’Europe et l’Afrique. » Et Dieu seul sait combien de projet clés en main les Spins doctors ont souvent proposé aux Africains.
« Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d’autres Africains. » Peut-on partir du fait qu’il y a eu quelques négrions africains pour affirmer péremptoirement ce que dit M. Sarkozy. Comment comprendre que les Africains arrachés à leur terre fussent-ils avec la complexité de quelques négrions noirs, aient été pendant plus de 4 siècles maintenus en esclavage dans les Amériques et les Antilles françaises ?
Cette volonté de vouloir relativiser, de « désubstantialiser » le crime le plus monstrueux que fut : LA TRAITE NEGRIERE- L’ESCLAVAGE participe à cette volonté de banalisation et de victimisation à rebours des peuples noirs. Sarkozy vient de s’ajouter à la liste de ceux là pour qui le passé est le passé. Et que les Noirs pleurnichent beaucoup. Alors que fait-on de l’exigence de mémoire ?
Revenant à l’eclavage, la France devrait pour une fois, par la voix de son premier citoyen, reconnaître sa part majeure de responsabilité dans les tragédies africaines. Sarkozy dans son discours a tout simplement oublié que cet infâme crime qu’est l’ESCLAVAGE est au cœur de l’hyperaccumulation, rampe de lancement et de construction du capitalisme. Un commerce triangulaire organisé, planifié sur une grande échelle par de nombreux pays européens sur ce que Fernand Braudel appelle la longue la durée. L’ESCLAVAGE doublée de la traite négrière a ainsi participé à la mise à mort de nombreux royaumes africains tout en créant artificiellement en 1885 à Berlin des États-nations faibles et assistés. Tous incapables aujourd’hui de s’incrire dans ce qu’il faut désormais appeler la marche forcée vers le développement.
On ne peut non plus rester indifférent à cette autre affirmation de M. Sarkozy « La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique. Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs. Elle n’est pas responsable du fanatisme. Elle n’est pas responsable de la corruption et de la prévarication. Elle n’est pas responsable des gaspillages, de la pollution. » Les citoyens Camerounais, Togolais, Centrafricains, Gabonais, Rwandais, Malgaches, Algériens, Tchadiens, Comoriens, Congolais de Brazzaville comme de Kinshasa, sont prêts à dire le contraire. Si Sarkozy est si certain de ces propos qu’il ouvre les archives de la France. En attendant l’ouverture de ces archives, la complaisance de la France dans ses relations avec les présidents africains est connue. Le rôle de la France dans le génocide des Bamilékés au Cameroun, dans les tueries à Madagascar, Algérie, Sénégal se passe de commentaire. Du soutien au régime d’Habyarimana on sait ce qu’il en est arrivé par la suite au peuple rwandais. Des affaires Elf etc.…sans doute Sarkozy n’en sait rien. Les jeunes Africains ne sont pas dupes.
« Mais nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères. »
Alors M. Sarkozy qu’en est-il de la responsabilité des États ? Ce discours est si on en voulait encore une preuve, le vibrant reflet du refus de « la critique de soi France et de la pensée de la responsabilité. » Ce que la France demande à la Turquie lorsqu’il s’agit de reconnaître son crime et dans ce cas : le génocide arménien. Cette reconnaissance ne pourrait–elle pas s’appliquer au cas des Africains ? Ce refus de responsabilité n’est-il pas comme l’affirme l’historien et le politologue Achille Mbembe (2000 :VII) « un refus de l’aveu et une volonté active de l’oubli. »
« La réalité de l’Afrique, c’est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible. »
Ha ! La fameuse question de la fécondité derrière laquelle se cache celle de la migration. La déclaration de Sarkozy est une fois de plus le reflet des statistiques de la peur avec son corollaire qui est le réflexe du containment. Selon le compatriote de M. Sarkozy, le démographe français Jacques Vallin, le continent africain ne connaîtrait pas de stabilisation démographique avant qu’il n’ait atteint environ 3 milliards d’habitants ou même un peu plus. Actuellement la population de l’Afrique est estimée à environ 700 à 800 millions. Les propos de Sarkozy à Dakar, masque assez habilement le refus de reconnaître les profonds déséquilibres et les injustices structurelles qui dans le système économique international, diffusent et produisent la misère en Afrique.
Alors que jamais dans le monde, il n’y a jamais eu tant de richesses concentrées entre les mains d’un groupe de pays. En passant Sarkozy affirme que la colonisation n’est pas responsable des gaspillages, de la pollution en Afrique. « Alors qu’aucun organisme n’insiste sur le fait qu’un seul américain consomme en moyenne autant d’énergie que 168 tanzaniens, les prévisions alarmistes sur l’avenir de la planète s’accumulent autour des effets catastrophiques de l’exubérance démographique des indigènes d’Afrique. » (Ela 2006 : 91-101). Qu’en est-il de la part de la France sans doute autant ?
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. »
Pour tous ceux qui connaissent le discours hégélien sur l’Afrique on peut sans coup péril trouver un parallèle avec le discours du président français. Que veut dire « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » Si non une façon subtile d’affirmer comme Hegel en son temps « L’Africain n’en est pas encore arrivé à la distinction entre lui, individu singulier, et son universalité essentielle. (…) L’homme, en Afrique, c’est l’homme dans immédiateté » (Hegel 1965 : 260-251)
Plus loin une autre affirmation de Sarkozy. « Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour »
Généralement lorsque les Africains parlent de l’éternel retour à l’instar des leaders comme Marcus Garvey, il ne faut pas comprendre cela dans le sens d’un quelconque retour physique. Il faut saisir cette assertion dans le sens d’introspection, de questionnement sur son origine. De savoir d’où l’on vient pour mieux vivre le présent et envisager sereinement l’avenir. L’éternel retour doit se comprendre dans ce sens et non dans celui de Sarkozy. Et dans le cas de nombreux Africains autant d’Afrique que ceux arrachés de leur terre cette interrogation s’impose. L’on n’a qu’à voir la part de cette tragique histoire dans les programmes des écoles africaines et françaises pour mieux comprendre qu’il y a d’énormes efforts à faire. Parce que complètement dépossédé de notre histoire.
Même si nous ne pouvons pas taire la responsabilité des classes dirigeantes en Afrique, des élites mercenaires qui instituent des systèmes de contrôle du pouvoir et d’appropriation des ressources, les jeunes africains doivent refuser plus que jamais que l’on continue éternellement à les intantiliser, à les insulter. La jeunesse africaine n’a pas besoin de béquille. Elle doit plus que jamais s’assumer.
Sarkozy qui raffole des polémiques vient une fois de plus de réussir un beau coup. Heureusement que le discours de Sarkozy qui ne comporte rien de nouveau. Il s’inscrit une fois de plus dans ce qu ‘il faut appler une nouvelle tentative de diversion. Et les Africains en sont habitués. Le défi de la France aujourd’hui, ne serait-il pas d’apprendre à se sentir l’héritière et responsable de nombreuses tragédies africaines. En intériorisant ce fait, cette attitude ne contribuerait-elle pas à l’aider à participer à l’aventure commune des civilisations humaines et de s’approprier d’avantage les droits de l’Homme, la démocratie, la liberté, l’égalité, la justice comme l’héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes ?
Ela Jean Marc et Anne Sidonie Zoa, Fécondité et migrations africaines : Les nouveaux enjeux, Paris, Harmattan, 2006. Hegel, Friendrich, La raison dans l’histoire, Paris, Plon, 1965. Mbembe Achille, De la postcolonie, Paris, Kharthala, 2000.
Post Scriptum : source : http://www.icicemac.com/news/index.php3 ?nid=8157&pid=39&cid=1
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