La Gauche face au nouveau Traité européen, par Francis Wurtz, député européen (Gauche Unie Européenne)
Par zappa le mercredi 1 août 2007, 16:40 - Lien permanent
Compte tenu de la précipitation délibérée avec laquelle les dirigeants européens envisagent de "boucler" l'affaire du futur traité européen, il n'y a pas un jour à perdre pour saisir nos concitoyens et nos concitoyennes du contenu d'hors et déjà prévisible de ce texte. Le mandat des négociateurs adopté par le Conseil européen est, en effet, d'une exceptionnelle précision. Et ce contenu est d'une tout autre nature que celui suggéré par le Président Sarkozy...
Je rappelle tout d'abord les principales étapes prévues pour le déroulement du processus devant aboutir au futur traité européen: (...)
- les 18 et 19 octobre, le Conseil européen des Chef d'Etats et de gouvernement, réuni à Lisbonne, est censé approuver le traité. Si tel est le cas, va s'ouvrir alors la période de ratification.(...) Les négociateurs et leurs experts ont en main deux textes: d'une part, les traités actuels; de l'autre, l'ex-projet de traité constitutionnel (TCE - désormais appelé pudiquement " les innovations des travaux de la CIG de 2004"...). Les traités actuels resteront en vigueur.(...) Il s'agit donc en fait de transférer l'essentiel de l'ex-traité constitutionnel dans les actuels traités. C'est pourquoi le nouveau texte est appelé "traité modificatif".
- Que deviennent, dans le nouveau texte, les questions qui ont été au cœur des débats de la campagne du référendum de 2005?
(...) Le Président français a interprété le retrait de la mention du principe de "la concurrence libre et non faussée" (mais exclusivement celle figurant dans l'article consacré aux "objectifs de l'Union") comme une "réorientation majeure". Qu'en est-il, aux yeux des principaux membres du Conseil européen qui ont accepté cette modification à cet endroit du texte? J'ai posé directement la question à la Chancelière allemande, qui présidait ce Conseil européen, ainsi qu'à M. Barroso, le Président de la Commission européenne, en séance plénière du Parlement, le 27 juin dernier: "que va changer concrètement le fait d'avoir retiré cette phrase à cet endroit du futur traité?" Dans sa réponse, Madame Angela Merkel n'a pas fait dans la nuance: "rien ne va changer!" Le principe en question reste, par ailleurs - et à de multiples reprises -, dans le texte. Certes pas en tant qu'objectif, mais comme moyen. Mieux, pour éviter toute ambigüité, un "protocole" a été spécialement rédigé, qui figurera dans le futur traité, pour souligner "haut et fort" - insista la Chancelière - que "ce moyen doit être conservé dans toute sa plénitude". M. Barroso abonda dans le même sens, affirmant que le principe de concurrence ne devait en aucun cas être "sapé" car il constituait "l'une des composantes essentielles du marché unique. Cela doit être très clair".
Au demeurant, la lecture des conclusions du Conseil européen ne laisse guère de doute sur l'intégrisme libéral inoxydable de ses membres actuels. Dans le chapitre consacré aux "questions économiques, sociales et environnementales", dès la première phrase, il est rappelé que "la poursuite du renforcement" (sic) de la libre circulation des capitaux continuait de "revêtir une importance capitale".
- Autre question sensible durant nos débats de 2005: la place des services publics dans les textes européens.
Il n'y aura rien de changé sur ce point non plus, par rapport à l'ex-traité constitutionnel, si ce n'est là encore, l'ajout d'un "protocole" soulignant, sans plus de précision, "la grande marge de manouvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l'organisation des services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs". Comme on le voit, il ne s'agit pas vraiment d'une révolution culturelle... Les S.I.E.G. (services "d'intérêt économique général") continueront de ne bénéficier que d'un statut dérogatoire, dûment surveillé, aux règles de la concurrence et aux lois du marché.
- En ce qui concerne la charte des droits fondamentaux, trois remarques:
1. Son texte ne figurera pas dans le futur traité, mais il y sera fait mention et sa valeur juridique contraignante sera soulignée.
2. Un "protocole" annexé au traité précisera que la Charte en général et, tout particulièrement, "pour dissiper tout doute, rien dans le titre IV de la Charte (les droits sociaux et le droit du travail) ne crée des droits justiciables applicables au Royaume Uni".
3. La version de la charte qui sera retenue est bien celle qui figure dans l'ex-projet de traité constitutionnel, avec ses passages très controversés (exemple: le traditionnel "droit au travail" y est remplacé par "le droit de travailler") et ses "explications établies sous l'égide du Praesidium de la Convention européenne" qui, ajoutées, à l'époque, à la demande de la Grande Bretagne, vident certains articles de toute substance.
- Je m'arrête enfin sur la "politique de sécurité et de défense commune" dont les développements prévus dans l'ex-projet de traité constitutionnel avaient également soulevé de nombreuses objections. Or, toute cette partie est reprise dans le mandat des négociateurs du futur traité. Citons en particulier:
• "la politique de l'Union (...) est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans (le) cadre (du traité de l'Atlantique Nord)".
Ce passage avait été sévèrement critiqué comme l'expression d'une allégeance à priori à l'OTAN (On ne sait pas quelle sera la politique de l'OTAN dans l'avenir, mais on s'engage, les yeux fermés, à ne jamais avoir de politique en rupture avec elle...);
• "les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires". Cette injonction à augmenter les dépenses d'armement a souvent été fustigée dans les débats de 2005 (....)
La gauche européenne a un triple défi à relever.
- Je disais que le marathon décidé au Conseil européen pour adapter le texte du futur traité faisait complètement abstraction des sentiments des Européens eux-mêmes à l'égard des politiques menées sous l'égide de l'Union. C'est pourquoi le premier devoir de la gauche européenne me semble être de contribuer à leur expression. La première étape - décisive à mes yeux - de ce travail d'appropriation des enjeux de cette bataille par les citoyennes et les citoyens, c'est la clarification du contenu et de la portée du texte en cours d'élaboration. A ce stade, c'est à cela que nous devrions consacrer nos efforts.
- De pair avec cet effort de pédagogie politique, la gauche européenne doit, à mon sens, porter l'exigence d'un grand débat public et pluraliste, dans chaque pays et à l'échelle européenne, conclu par un référendum.
- Et surtout, la gauche européenne doit, à mes yeux, se hisser à la hauteur de la nouvelle bataille idéologique engagée par un certain nombre de responsables politiques européens qui, tels Nicolas Sarkozy, sentent bien que le discours "bruxellois" traditionnel et la pensée unique qu'il véhicule ne passent plus. Et ce qui est vrai pour la question des "déficits publics" vaut pour la politique industrielle, les mesures de protection ou les dogmes de la BCE. Pour tenter de canaliser les aspirations de plus en plus fortes au changement du "logiciel européen" - pour reprendre une expression à la mode -, ils brisent certains tabous, évoquant à haute voix les contradictions jusqu'ici commentées sous le manteau. C'est la rançon de l'effet du 29 mai 2005 !
Ainsi, le ministre allemand des finances, M. Peer Steinbrück, évoquait-il récemment le risque d'une "crise de légitimité du modèle économique et social européen". De son côté, le ministre italien de l'économie, M. Padoa-Schioppa, pourtant connu de longue date comme un partisan de la rigueur dans les comptes publics, a fait scandale le mois dernier en s'écriant: "nous refusons la camisole de force européenne"...
- Il serait, selon moi, aussi incohérent de nier la réalité des problèmes qu'ils évoquent - qui étaient souvent au cœur du débat français de 2005 - que naïf de s'illusionner sur leur volonté d'y apporter des solutions répondant à l'attente de nos concitoyens. Une vraie confrontation sur les options politiques s'impose donc, au grand jour, à partir des expériences concrètes vécues par les gens et des contradictions de moins en moins contestables des politiques actuelles de l'Union.
Ainsi le Président de la République dit-il vouloir combattre le dogme de la "concurrence libre" ? Chiche ! Alors, quelles mesures la France envisage-t-elle de prendre pour enrayer l'absurdité économique, écologique et bien sûr sociale de l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence ? Et quelle attitude le gouvernement français va-t-il adopter sur la libéralisation totale des services postaux, discutée au Parlement européen ?
C'est dans le concret et au travers d'actions multiformes pour rompre avec les orientations et les structures actuelles de l'Union que la gauche européenne devrait, à mes yeux, élaborer et faire vivre sa vision alternative.
Voir aussi le site http://referendumeurope2007.free.fr qui propose la signature d'une pétition pour la ratification par voie référendaire du "traité modificatif"
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