Languedoc, envoyé spécial.
Qu’ils soient sur la côte méditerranéenne, face à l’Atlantique ou dans la France profonde, les vacanciers de ce mois d’août ne manqueront pas de croiser de magnifiques vignobles sans se douter que des hommes et des femmes agonisent économiquement toute en produisant de la qualité à petits prix. Comment est-ce possible ?
rencontre
pour « un prix éthique » du vin
La rencontre se déroulait le 26 juillet dans la salle de - réunion de la cave coopérative de Montagnac, dans l’Hérault. Serge Azaïs, vigneron coopérateur et militant de la Confédération paysanne, avait couplé notre rencontre avec le compte rendu à ses mandants de la réunion tenue la veille entre des vignerons, des négociants et des responsables de la grande distribution pour tenter d’obtenir « un prix éthique » du vin. Avant d’engager le débat, Serge téléphonait à quelques retardataires pour apprendre que trois vignerons en difficulté ne viendraient pas. Ils lui ont fait comprendre qu’il était trop dur pour eux de venir étaler leurs difficultés économiques et financières devant un journaliste, comme devant leurs collègues. « Je ne sais pas ce que je ferais après avoir décrit à la presse la situation dans laquelle je vis », dira l’un d’eux pour justifier son renoncement.
Olivier Pagoire était là. Ce trentenaire s’est installé en 2001 sur 13 hectares. Comprenant très vite qu’il ne s’en sortirait pas, il a passé et réussi l’année suivante un concours d’entrée dans la fonction publique. Depuis, il travaille à l’équipement du lundi au vendredi et s’occupe des vignes en fin de journée et le week-end. Son père, oenologue à la cave de Montagnac, lui donne également un coup de main. « Nous avons amélioré le vignoble en replantant du cabernet-sauvignon, de la syrah, du sauvignon blanc afin de fournir à la cave coopérative les vins de cépages les plus demandés sur le marché. Mais comme tout se vend mal, le bilan comptable de l’exploitation reste lourdement déficitaire. Nous en sommes, mon père et moi, à prélever régulièrement de l’argent sur nos comptes de salariés pour alimenter celui de l’exploitation. Je suis installé depuis six ans et je n’ai jamais prélevé un centime pour rémunérer mon travail de vigneron », explique Olivier.
pour survivre,
ils cumulent
deux métiers
Bruno Abellan, quarante-neuf ans, avait aussi 13 hectares de vignes achetés voilà près de vingt ans. Ce vigneron coopérateur en a déjà arraché 6 hectares pour réduire ses dettes. Il effectue actuellement une formation pour tenter de trouver un travail de chauffeur de car. Son épouse s’est trouvé un petit boulot dans un magasin. Ceux qui avaient zappé la réunion n’avaient pas l’activité extérieure qui permet de tenir en espérant connaître des jours meilleurs. Dès lors, venir se raconter était bien trop dur.
En Languedoc, les vins d’entrée de gamme sont globalement bons et ils se vendent. Mais à des prix dérisoires. Depuis la récolte 2004, la perte moyenne d’un coopérateur est de 1 000 euros par hectare et par an. Certes, des stocks existent, mais ils diminuent. À la faveur d’une offre supérieure à la demande, les négociants et responsables des centrales d’achat de la grande distribution se conduisent en prédateurs depuis trois ans. Lors de la réunion du 25 juillet avec les vignerons, les représentants de Carrefour, Casino et Intermarché se sont contentés d’écouter les doléances du Syndicat des vignerons de l’Hérault, des représentants de la Confédération paysanne et du MODEF, sans prendre le moindre engagement.
Hormis Castel, les négociants étaient absents. Cette année, le vin de table leur a été vendu en vrac entre 25 et 30 euros l’hectolitre. Moins de trente centimes d’euro pour un litre de vin de table. C’est le prix de 1976 en monnaie constante !
Président du Syndicat des vignerons de l’Aude, Philippe Vergnes affirme depuis sa bonne cave coopérative de Névian que « 2007 sera l’année de la dernière chance. Il faut absolument que les prix se redressent pour commencer à lisser les pertes des années précédentes », précise-t-il. Mais aussitôt, le doute le travaille. Car la récolte sera modeste et l’apparition du mildiou est venue renchérir les coûts de production. Il a fallu traiter six ou sept fois là où on se contentait de deux ou trois passages les années précédentes. « En 2005, quand les acomptes versés par les coopératives ont fortement diminué, le Crédit agricole a accordé aux viticulteurs des reports de remboursements d’emprunts. 2005 devenait ainsi une année blanche, le crédit se trouvant prolongé de douze mois avec des intérêts qui continuaient de courir. Il a fallu faire la même chose en 2006. Ce décalage de deux années pour les remboursements d’emprunts met des milliers de viticulteurs dans une situation économique et financière catastrophique. Dans le vin de table, la perte de 1 000 euros par hectare n’existerait pas si l’hectolitre de vin nous était payé 10 euros de plus. Dans les vins de cépages à moindre rendement, il aurait suffi de 15 euros de mieux pour 100 litres de vin », s’indigne Philippe Vergnes, qui dit vouloir attendre la fin des vendanges avant d’appeler à des actions de rue tout en se disant inquiet des possibles actes de violence en raison du désespoir ambiant.
Cet endettement aura des conséquences terribles pour certains exploitants. « Les banques, à commencer par le Crédit agricole, ne veulent plus aider que les gens dont ils estiment qu’ils peuvent encore s’en sortir. Pour aider son fils à s’installer, il faut désormais se porter caution solidaire en hypothéquant ses biens, à commencer par la maison d’habitation. Dans le Gard, les vignerons les plus endettés sont en train de perdre la récolte 2007 car on n’a pas voulu leur accorder un crédit pour les produits de traitement contre le mildiou », note Jean-François Bianco, viticulteur à Arpaillargues et adhérent à la cave de Bourdic. Comme beaucoup d’autres vignerons, il redoute des arrachages massifs en 2009.
la vigne, un moyen de prévention
des incendies
« Si on arrache 10 % des vignes, on augmente les frais de cave de 10 %, alors que la baisse du prix du vin a déjà fait monter les frais de vinification à 33 % du chiffre d’affaires au lieu de 20 % avant la crise que nous subissons depuis trois ans. J’ajoute que la vigne participe beaucoup à la réduction des risques d’incendie dans nos régions. Au moment où le gouvernement consulte tous azimuts sur le développement durable, cette donnée mérite aussi d’être prise en compte », conclut Jean-François Bianco.
Gérard Le Puill Huma du 7 / 08 / 07
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire