mercredi 8 août 2007

L'âme du vin ( Maurice Ulrich )

Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait les profits. C’est à peu près ce qui va se passer

dans la viticulture en Europe, et particulièrement en France, si les décisions de la Commission européenne et de la commissaire à l’Agriculture, Marian Fischer Boel, entrent dans les faits. Acte I : on programme l’arrachage le plus rapide possible de deux cent mille hectares de vignes à partir de 2009. Acte II : on autorise à partir de 2014 la plantation libre.

Conclusion, le nettoyage a été fait, les grands groupes peuvent s’implanter pour produire des vins standard correspondant à une demande mondiale en hausse constante et où apparaissent de nouveaux pays consommateurs, dont la Russie et la Chine, ce dernier pays étant devenu en quelques années

le dixième consommateur mondial.

C’est le corps de la réforme de l’organisation commune du marché du vin, telle qu’elle a été adoptée voici quelques jours. Michel Barnier, le ministre

de l’Agriculture, a verbalement indiqué,

quelques jours plus tard devant l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, qu’il s’opposerait

à la totale libéralisation des droits de plantation, mais il n’est pas allé jusqu’à consigner par écrit ses propres propos, et pas un mot sur l’arrachage.

Il est vrai que

la Commission a ramené

le nombre d’hectares sacrifiés de 400 000 à 200 000 et que, face à la totale opposition de l’ensemble des viticulteurs, l’éphémère ministre de l’Agriculture que fut Dominique Bussereau, avant la formation du gouvernement actuel, avait,

le 23 juin, déclaré que ces 400 000 hectares étaient

« un plan disproportionné ». Il n’est pas interdit

de penser que ce chiffre était gonflé dès le départ

pour faire semblant ensuite d’avoir entendu

les protestations.

Sur le fond, le gouvernement ne saurait trouver à redire à ce plan ouvrant en grand le marché du vin. À la veille d’être nommée ministre de l’Économie,

Christine Lagarde déclarait à Vinexpo, à Bordeaux,

que « nous ne pouvons pas nous arrêter à mi-chemin

de la modernisation. Nous devons aller jusqu’au bout ». C’est aussi ce que pensent les gros négociants

des Entreprises des grands vins de France.

« Nous soutenons la philosophie libérale qui sous-tend le projet de la Commission », a clairement déclaré

son délégué général, Louis-Régis Affre.

Liberté pour le vin. Ce pourrait être le slogan

de nos libéraux. Car le vin en Europe, ce sont 2,4 millions de viticulteurs et, même si en France

ils ne sont plus que cent mille, c’est trop, sans doute, c’est une pesanteur. Nombre d’entre eux sont

endettés, soumis aux conditions des grands du négoce qui ne leur garantissent pas des prix suffisants.

Ceux-là arracheront pour toucher les primes

et disparaîtront. Ils le feront d’autant plus que

les primes sont dégressives, baissant de 20 % chaque année. Plus vite on arrachera et plus on touchera

et on déblaiera le terrain. Certes, on objectera que

cette diversité, c’est un peu l’âme du vin quand

le soir elle chante dans les bouteilles.

Ce qui fait qu’il ne sera jamais un produit standard,

en tout point pareil en tout lieu qu’il soit produit.

On dira que le vin, c’est un terroir, une exposition,

une culture. Mais ce n’est pas le problème

des grands groupes. Jésus changeait l’eau en vin.

Eux veulent changer le vin en dividendes.

Car la guerre du vin est mondiale désormais.

Pernod-Ricard a massivement investi en Australie

et exporte en premier lieu en Europe. En Europe même, les groupes plantent des dizaines de milliers d’hectares en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie. Les viticulteurs français, dans les vingt dernières années, ont fait

des bonds de qualité, ils sont prêts à se concerter

pour des arrachages limités pour tenir compte

en certains endroits du marché. Mais ils font du vin, mieux, des vins.

l ' Huma du 7 / 08 /07

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