Souffrance au travail . Une salariée de SFR à Poitiers a tenté, samedi matin, de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail. Un geste individuel qui devrait alerter sur un mal-être général.
« Je vais rentrer dans ma phase d’autodestruction, la société (en général, et pas seulement SFR) n’ayant que du mépris pour nous. Juste pour information à ces chers capitalistes qui ne se projettent qu’à un an : ce n’est pas l’argent qui rapporte l’argent, mais bien les salariés et ouvriers qui créent des richesses. Je remercie et je suis fière de chacun d’entre vous de s’être battu pour ce qu’il pensait juste. » Samedi en fin de matinée, quelques minutes après avoir publié ce message sur le forum Internet des « SFR en colère », une jeune conseillère clientèle de Poitiers, un des trois sites en cours d’externalisation du service clients de l’opérateur téléphonique, a avalé un cocktail de médicaments sur son lieu de travail. Elle a encore envoyé un SMS à un proche : « Tout ça, c’est de la faute de SFR. » Grâce à ces différents avertissements, les salariés présents samedi sur la plate-forme du centre d’appels ont pu enrayer le drame en cours : un membre de l’intersyndicale a immédiatement alerté le SAMU et la salariée a été prise en charge sur le champ. Elle a été maintenue vingt-quatre heures en observation au CHU de Poitiers, mais ses jours ne sont plus en danger.
À Paris, la direction de SFR a indiqué samedi soir à l’AFP « ne pas pouvoir confirmer ni infirmer » la tentative de suicide dans les bâtiments de son centre d’appels de Poitiers, affirmant attendre « le rapport de l’hôpital » où la jeune femme a été admise, « ainsi que le rapport de police ». Mais la direction nationale de l’opérateur téléphonique en a immédiatement profité pour minimiser l’événement : « Lorsque le SAMU l’a emmenée, elle semblait normale, rien n’indiquait qu’il se passait quelque chose », a-t-elle encore expliqué à l’AFP. « On n’était pas très nombreux sur le site, détaille Franck Berne, délégué du personnel CFDT. Mais on était quand même suffisamment pour réagir vite et on a réussi à la faire prendre en charge, quelques instants après l’ingestion des médicaments. Cela devrait soulager tout le monde… »
Qu’est-ce qui a pu pousser C., une syndicaliste CGT, âgée de trente-quatre ans, très impliquée dans le mouvement contre le projet d’externalisation et rencontrée par l’Humanité Dimanche il y a une dizaine de jours (lire aussi ci-dessous), à tenter, samedi, de mettre fin à ses jours ? À Poitiers, mais aussi à Toulouse et à Lyon, sur les sites des trois centres d’appels en cours d’externalisation, les 1 900 salariés du service clientèle de SFR, qui se bagarrent depuis le 23 mai contre ce projet de leur direction, n’ont guère de doute et dressent, en creux, le tableau alarmant d’une catastrophe sanitaire et sociale à venir.
Beaucoup
de salariés
craquent
Vendredi soir, au terme de deux jours de discussions au comité central d’entreprise (CCE), la direction de SFR a annoncé la fin de la procédure officielle de consultation, malgré le refus des organisations syndicales d’avaliser le transfert des trois centres d’appels aux sous-traitants Teleperformance et Arvato. Dès lors, en dépit d’un recours en justice déposé par les syndicats (lire page 3), rien ne s’oppose plus à la mise en oeuvre de l’externalisation à compter du 1er août. Après avoir manifesté, occupé jour et nuit leurs lieux de travail, fait grève, bloqué les sites, après s’être déplacés à plusieurs reprises devant le siège national de SFR à La Défense, beaucoup de salariés craquent. « Ce dernier CCE, ça a été un vaudeville tragique très pénible pour les salariés, témoigne un représentant syndical à Poitiers. La direction a été plus arrogante que jamais et, quand on a appris que c’était fini, pas mal de salariés se sont effondrés en pleurs. » À ce moment, C. évoque, elle, sa crainte de « faire une connerie ».
Un nombre vertigineux
d’arrêts maladie
Sur les trois sites dont elle se débarrasse à bon compte, la direction de SFR a mis en place des « cellules d’écoute avec des psychologues » dès l’annonce de son plan de restructuration. « Mais cela ne correspond pas du tout aux attentes des salariés, regrette Franck Berne, à Poitiers. Au CHSCT, on a vu des gens qui revenaient de ces groupes d’écoute et à qui on conseillait de s’engager dans des suivis psychologiques extérieurs, sans donner le sentiment de rechercher les origines des difficultés dans la situation insupportable chez SFR… Certains des salariés ont expliqué qu’ils se sentaient traités comme des meubles que l’on déplace, et plus comme des êtres humains. Les raisons du malaise global étaient pourtant très claires, mais ils ne voulaient pas les voir : après nous avoir dit qu’on était les meilleurs pendant des années et avoir conspué les sous-traitants comme Teleperformance ou Arvato, SFR nous cède à des boîtes présentées auparavant comme des esclavagistes… Qu’est-ce que vous voulez que ce décalage produise d’autre que des drames ? Tous ces chocs psychologiques dans le travail peuvent, on le sait, ouvrir ou raviver des plaies et des maladies graves… »
Indicateur indiscutable du mal-être généralisé depuis l’annonce du transfert des salariés vers les sous-traitants, le nombre d’arrêts maladie dans les trois centres d’appels de SFR a de quoi donner le vertige : à Toulouse, où 724 salariés travaillent, on a comptabilisé 540 arrêts maladie pour le seul mois de juin ; à Poitiers, sur moins de soixante jours depuis le 23 mai, le CHSCT a dénombré 790 arrêts maladie pour un effectif total de 570 employés. « Les collègues font des dépressions, relève Laurent Abarkan, délégué syndical CGT à Toulouse. Ces derniers jours, il y a en plus un profond dégoût qui se répand parmi les salariés en lutte. On a le sentiment d’être méprisés et insultés. Début juillet, le PDG de SFR service clients nous a lancés dans une réunion interne : “Je ne suis pas Mère Thérésa, donc je fais ce que je veux !” Alors que la direction nous nargue en disant qu’on a perdu, que c’est fini, qu’on va se manger le plan social déguisé qu’ils laisseront faire aux sous-traitants, on est très nombreux à nous sentir trahis… Quand, début juillet, Nicolas Sarkozy est venu à Toulouse, on a rencontré ses conseillers qui nous ont assuré qu’ils regardaient ce qui se passe chez SFR… Et qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui ? Qu’ils laissent faire… Moi, dans les yeux des salariés, aujourd’hui, ce que je vois, c’est de la haine. Beaucoup de haine et de dégoût. Il y a de quoi craindre le pire, vraiment. »
Dans un communiqué publié dimanche matin, deux élus au CHSCT de Poitiers encouragent à être « attentifs à chaque alerte de salarié pour éviter le pire » : « À nous tous de rester sur nos gardes car les retombées du transfert ne font que commencer… » L’invitation solennelle vaut à l’intérieur du centre d’appels, mais sans doute aussi au dehors.
Thomas Lemahieu l'Humanité du 23/07/ 07
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