jeudi 9 août 2007

Unilever ( suite )

Dans tout le pays, le plan d’Unilever inquiète

Licenciements boursiers . Les 4 000 salariés en France redoutent les conséquences des suppressions d’emplois annoncées, jeudi dernier, par la multinationale anglo-néerlandaise.

Jeudi dernier, le géant de l’agro-

alimentaire et de

l’hygiène Unilever, numéro trois mondial

des produits de grande consommation, a publié ses résultats pour le deuxième trimestre 2007 : le bénéfice net de

1,2 milliard d’euros sur trois mois, en hausse

de 16 %, vient s’ajouter aux 5,4 milliards d’euros de profits déjà engrangés l’année dernière. Dans

la foulée, le PDG de

la multinationale anglo-néerlandaise, le Français Patrick Cescau, a annoncé la suppression de 20 000 emplois par le biais de la fermeture, de la

restructuration ou de la cession d’une soixantaine d’usines (lire aussi

l’Humanité du 6 août). Ce plan de « rationalisation » vise en particulier

l’Europe de l’Ouest et, en France, dans les dix usines du groupe et au siège national d’Unilever, l’inquiétude des salariés est souvent vive. À partir des témoignages recueillis auprès des responsables syndicaux de tous les sites concernés dans

l’Hexagone, l’Humanité dresse un premier tour d’horizon.

Rueil-Malmaison

D’un plan social

à l’autre

Symbole de la stratégie menée par la multinationale depuis 2000, le siège national d’Unilever subit déjà son quatrième plan social en trois ans. Bilan sur la période : 400 suppressions de postes. Une rationalisation à marche forcée, qui a commencé par la centralisation des sièges régionaux, suivie par l’externalisation des services informatiques, financiers et des ressources humaines. Aujourd’hui, la direction finalise la fusion entre deux de ses filiales hygiène (HPC) et agroalimentaire (food), entraînant une nouvelle vague de licenciements. Chantal Baunard, déléguée CFDT au siège, explique : « Depuis trois ans, les plans sociaux n’ont pas le temps de se conclure que la direction annonce le suivant. » En effet, avant même l’annonce de la suppression de 20 000 postes, la firme programmait le rapprochement de différents sièges sociaux, avec probablement à la clé la disparition des postes considérés comme des « doublons ». La nouvelle vague de licenciements est jugée « extrêmement choquante » par la syndicaliste CFDT qui a demandé la tenue d’un CCE dès la rentrée de septembre. Au printemps dernier, les salariés avaient déjà exprimé leur colère lors d’une grève contre le projet de 200 suppressions d’emploi.

Saint-Dizier

Rendez-vous

en septembre

L’usine française de glaces Miko a également subi les externalisations de ses services informatiques, financiers et logistiques. Récemment, le centre de recherche et développement a été amputé de 15 de ses employés. Malgré trois semaines de grève en 2002, entre 150 et 200 personnes ont été licenciées depuis 2000. Le site compte aujourd’hui 500 salariés qui semblent gagnés par la lassitude : « Tous les ans, ils nous annoncent quelque chose, annonce Didier Novellati secrétaire CGT du comité d’entreprise (CE). Nous allons rester attentifs. » Un peu las, mais pas résignés : « On est prêts pour septembre », tranche-t-il quand même.

Dijon/Chevigny

Dans les mailles

du « système Unilever »

Ils ont déjà souffert, les salariés d’Amora. Sur les sites jumeaux de Dijon et Chevigny, éloignés d’à peine 10 kilomètres, même directeur et même DRH. Les effectifs ont fondu comme peau de chagrin depuis le rachat par Unilever en 2000. Un site fermé et un vendu lors du rachat, des départs anticipés et quelques licenciements : ils ne sont plus que 470 salariés au total, contre 1 000 il y a sept ans. « Unilever a un oeil sur le site de Dijon centre. Ce n’est pas dans leur tradition de garder deux sites dans la même ville. Ajoutez à cela des intérêts immobiliers, et vous comprenez pourquoi on s’inquiète. » Mamadou M’Geng, délégué CGT, perd patience : « Depuis un moment, on voit la production baisser sur le site, alors qu’elle augmente ailleurs en Europe, dans des sites équivalents. » Le plan de concentration « One Unilever » privilégiait déjà la recherche de « synergies » entre les deux usines. La suppression de l’une d’entre elles semble se préparer de longue date. Au-delà du risque de fermeture, Mamadou M’Geng dénonce un climat de travail intenable. La direction pousse à la polyvalence, à l’intensification des cadences… Et certains ne peuvent pas suivre. « Le jour même du rachat d’Amora, qui était une très bonne société, avec des pratiques sociales avancées, tout a été remis en cause avec le “système Unilver”. Ce ne sont pas des industriels, mais des gens qui communiquent bien pour faire passer leurs projets. L’humiliation du personnel est monnaie courante. On harcèle les plus fragiles pour les faire partir. » Et le responsable syndical d’insister : « Beaucoup d’employés sont malades et âgés, usés par le travail. La direction les met en compétition avec les valides. » Les salariés et leurs représentants attendent que les choses se précisent, sans doute aux alentours de la rentrée. L’incertitude pèse aussi sur le dépôt du centre logistique, rattaché à Chevigny, qui craint d’être externalisé.

Ludres

Une activité « secondaire » ?

Unique site européen de production de pâtisserie industrielle, l’usine n’en est pas moins menacée. La « rationalisation » des différentes filières de la multinationale n’augure rien de bon. En effet, depuis quelques années, la firme agroalimentaire a tendance à se débarrasser des activités considérées comme secondaires, ce qui pourrait concerner l’usine de Ludres. D’après plusieurs syndicalistes du groupe Unilever en France, l’unité de production encore dotée d’un centre de recherche et de développement propre, pourrait ainsi ne pas être jugée assez rentable, avec comme conséquence la cession du site à une autre entreprise. « Voisins » d’Alsa, les responsables syndicaux de Knorr ont posé la question de l’avenir du site de Meurthe-et-Moselle à l’occasion d’un CE, mais la direction s’est montrée assez évasive.

Duppigheim

De la concurrence

en perspective

Divisé en deux usines, le centre de production regroupe 500 salariés. Le premier site produisant les soupes et sauces déshydratées de la marque a déjà été touché dans les quatre dernières années par l’externalisation des services informatiques et financiers. « Nous sommes en concurrence avec des sites allemand, suisse, hollandais et polonais, explique Patrick Jaeger de la CGT, et la direction ne cache pas qu’il y a un site en trop en Europe. » Vingt personnes sont déjà parties en préretraite et les salariés notent une hausse de l’effectif d’intérimaires depuis quatre ans, au détriment d’embauches durables. « Il y a encore un peu d’investissement, c’est bon signe, mais ça ne donne pas de garanties, constate le délégué syndical. On attend donc les détails, mais ça risque de bouger en septembre. » Surtout que le service recherche et développement a déjà été frappé par une annonce de délocalisation en Pologne il y a deux mois. Grâce à la mobilisation des 30 salariés concernés, des négociations ont été engagées, même si ces dernières s’annoncent difficiles. Léa Vaché, représentante de la CGT sur le second site, craint « qu’à terme, la direction d’Unilever vise la délocalisation de toute la production ». Car, même si cette usine, qui conditionne des briques alimentaires, n’a pas de concurrents en Europe, les syndicats redoutent le nouveau plan, mais ne peuvent qu’attendre les informations. « Suite à l’annonce de la délocalisation de la recherche et développement en Pologne, nous avions demandé la création d’une GPEC (gestion prévisionnelle emploi et compétences prévue par la loi Borloo) pour avoir une idée de la stratégie d’Unilever dans les trois années à venir. Mais la direction a refusé. Même la DRH locale n’a pas les infos… »

Gémenos

Sous la protection

de leur lutte

Les 244 salariés, qui fabriquent les thés Lipton et Éléphant, sortent juste d’un conflit social long et éprouvant, qui les a mobilisés de novembre à mars. Afin de réduire les coûts, la direction avait annoncé 57 licenciements secs et une baisse de la production des sachets de thé. Après une vingtaine de journées de grève et une victoire en justice des salariés contre la société Fralib, l’addition est moins salée. Quarante emplois seront finalement supprimés, avec beaucoup de mesures d’âges et pas de licenciements secs. La CGT estime avoir des garanties pour les deux prochaines années et ne s’inquiète pas outre mesure pour le site de Gémenos. « On ne pense pas qu’ils vont revenir à la charge tout de suite, mais on ne sait jamais », nuance Gérard Cazorla, secrétaire CGT du CE.

Pacy-sur-Eure

La direction

anticipe les départs

L’usine, qui emploie 150 salariés, semble avoir été plutôt épargnée par les plans sociaux précédents. Néanmoins, Frédéric Legrand, secrétaire du syndicat FO, observe depuis quatre ans une forme d’« anticipation » de la direction locale : « Au cas par cas, on incite les salariés à partir de manière anticipée, en préretraite, sans que ces emplois ne soient renouvelés. » Aucune information ne filtre quant à l’avenir du site qui fabrique les fromages de la marque Boursin. Mais le représentant syndical se montre inquiet à propos de l’ouverture d’une unique centrale d’achat Unilever en Suisse : « Cela va faire baisser le chiffre d’affaires de l’entreprise et, du même coup, nos primes de participation. »

Compiègne

Des promesses

non tenues

Consacré « site européen de production de shampoings » par un des plans de restructuration précédents chez Unilever (dit « Path to Growth », « le chemin de la croissance »), l’usine de l’Oise compte aujourd’hui 360 salariés auxquels s’ajoute 40 intérimaires réguliers. Comme le signale Frédéric Bresmalien, délégué syndical CGT, « au début des années 2000, nous étions satisfaits des annonces du groupe concernant l’avenir de l’entreprise ». En fait, ce statut privilégié n’a jamais été appliqué. La production de shampoings n’a pas dépassé la moitié des objectifs prévus et le nombre de dentifrices est inférieur de 30 % aux prévisions. « Alors que les commandes augmentent dans les usines d’Europe de l’Est, notre production n’a cessé de chuter depuis cinq ans », déplore le représentant CGT. Comme sur les autres sites, environ 50 emplois ont été supprimés dans le cadre de l’externalisation des services. Les effectifs de permanence le week-end ont également été touchés, avec la suppression d’une équipe sur deux. « On annonce la liquidation de la seconde équipe pour l’année prochaine », ajoute le syndicaliste qui craint pour l’avenir du site : « L’investissement en équipement est passé de 7 à 1,5 million d’euros et les machines ne tournent qu’à 30 % de leurs capacités. Il y a des signes qui ne trompent pas. » Comme sur les autres sites, il dénonce également les pratiques de la multinationale : « On se souvient des collègues d’Haubourdin en 2000. Le patron leur a offert un Magnum de champagne pour les bénéfices records et, un mois après, l’usine était fermée. » Le représentant du personnel cite également la vente d’une filiale du groupe Unilever en Italie, délocalisée trois ans plus tard avec comme plus gros client… Unilever. « On connaît ces manoeuvres de délocalisation cachée, on est prêt à s’asseoir sur l’usine pour éviter qu’elle ferme », prévient-il.

Appoigny

Une dynamique

de réduction

L’usine Amora Maille d’Appoigny (Yonne) risque de fermer ses portes, selon le délégué FO Patrick Dubois. Le site, qui compte 110 salariés, est spécialisé dans le conditionnement de cornichons. « On ne s’attendait pas à un plan d’une telle ampleur, mais on est déjà dans une dynamique de réduction d’effectifs et on savait que ça allait bouger, donc on n’est pas vraiment surpris », explique le syndicaliste qui est aussi secrétaire du comité central d’entreprise des sites bourguignons d’Unilever. Un CCE est d’ores et déjà programmé à la mi-septembre à Dijon.

Saint-Vulbas

Au coeur de l’été,

par traîtrise

Dans l’Ain, le sentiment qui domine, c’est l’incertitude. « Je n’en sais pas plus que vous, tant que je ne serai pas de retour à la boutique, je ne pourrais pas vous en dire davantage, confie Thierry Labeille, coordinateur CFDT du groupe Unilever et salarié à Saint-Vulbas. De toute façon, c’est aussi le but de ce genre d’annonce en plein été… » Alors qu’employés et responsables syndicaux sont dispersés entre le site de production et leur lieu de vacances, personne ne sait pour l’instant ce qu’il adviendra des 140 salariés de tablettes pour lave-vaisselle Sun : tous redoutent un dégraissage.

Xavier Lalu et Camille Polloni l ' Huma du 8 / O8 / 07

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