Editorial par Claude Cabanes
Ce n’est pas manquer au respect que l’on doit
par principe au chef de l’État que d’écrire que, l’autre soir, à la télévision, Nicolas Sarkozy
a enfilé des perles. Et il enfile toujours les mêmes,
celles du candidat qu’il était hier : comme si le président de la République était à la recherche du temps perdu de la campagne électorale, disparu à jamais. Tendu, incantatoire, volubile, pressé, il a buté sur cette dure réalité : il ne sera pas le président du pouvoir d’achat.
Il l’avait annoncé comme on souffle dans les trompettes de Jéricho : ce n’était que du bruit. Ceux qui l’ont crise sont trompés. Et ont été trompés.
C’est l’inconvénient de battre le tambour plusieurs jours à l’avance pour le rendez-vous avec le verbe présidentiel. Le chef de l’État n’avait à distribuer que de belles paroles. À part quelques clapotis ici et là il ne s’attaquera pas au mal français : depuis un quart de siècle les revenus du capital ne cessent de croître au détriment des revenus du travail. L’argent est mieux payé que les hommes. Là est le handicap structurel de notre économie, dont le moteur essentiel est la consommation : alors, quand le pouvoir d’achat baisse, l’horizon de la croissance recule. C’est le salaire qui lui fournit de la puissance.
Et Nicolas Sarkozy l’a avoué benoîtement :
« Ce n’est pas moi qui vais décider de l’augmentation des salaires. » Il décide bien pourtant de vider la RTT de sa substance, de traficoter les heures supplémentaires ou de vendre un morceau d’EDF. Bref le yaourt continuera d’augmenter alors qu’il n’a jamais baissé quand le cours du lait sur le marché mondial s’effondrait ; le chariot hebdomadaire, au supermarché, qui pèse 30 euros de plus en moyenne depuis un an, va poursuivre sa progression ; les taxes sur le carburant à la pompe vont continuer de couler à flots dans les cuves de l’État. Et les dépenses incompressibles - logement, transports, santé - qui garrottent le budget familial ne vont pas desserrer leur étau. Pendant ce temps les plus nantis s’assoupissent sur le matelas des 15 milliards offerts par le bouclier fiscal : et les caisses sont vides, paraît-il… Ainsi, lentement, l’illusion Sarkozy se dissipe. Ce qui tendrait à expliquer la virulence verbale primaire et cynique que l’hôte de l’Élysée applique au drame des banlieues : comme pour conforter un certain électorat (suivez mon regard…), quand un autre risque de s’écarter… Pour ramasser la pensée - si l’on peut dire… - élyséenne : il n’y a pas de problème social au-delà du coeur des grandes villes, il n’y a qu’un problème de « voyous ». On connaissait jusqu’ici
la raison d’État et les secrets d’État : voici naître
un nouveau concept, la haine d’État. Il a été déjà porté sur les fonts baptismaux du langage officiel enrichi
du « Karcher » et de la « racaille »… Nous voilà revenus près de deux siècles en arrière quand les bourgeois, comme Marx l’a si bien décrit, s’effrayaient pour
« les barbares qui campent aux portes de la cité moderne ». Un texte publié par quatre maires communistes de Seine-Saint-Denis rappelait hier cette évidence : depuis des décennies, des politiques de classe - oui, de classe, de la classe dominante, avec ses présidents, ses ministres, ses industriels, ses banquiers, ses préfets, ses policiers… - ont fait de ces banlieues une sous-société, un infra-monde, un ghetto où s’accumulent sans cesse toutes les souffrances, les anciennes et les modernes. En 1968 avait éclos cette belle formule :
le problème ce n’est pas d’être vieux, c’est ce qui fait vieillir. À Villiers-le-Bel et ailleurs, le problème,
ce n’est pas d’être jeune, c’est ce qui fait de jeunes hommes, et même d’enfants, des êtres féroces. Il y a plus de vingt ans un manifeste proclamait : « Que veut la banlieue ? La banlieue veut tout ! »
Monsieur le Président, c’est toujours vrai.
l' Huma du 01 / 12 /07
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