Editorial par Maurice Ulrich
On ne sait ce qui l’emporte dans les bureaux de direction des poids lourds de la grande distribution, de l’indifférence polie ou de la franche rigolade depuis que Nicolas Sarkozy, à Noyelles-Godeau, les a appelés à la vigilance. « Il faut faire attention, a-t-il dit, à ce que dans les grandes surfaces les prix ne s’envolent pas. » Les prix, en fait, c’est très rusé. À peine tourne-t-on la tête un instant que hop ! ils en profitent pour monter. Rien de plus sournois dans le genre qu’un litre de lait, par exemple, et plus généralement tous les produits d’alimentation de base. En un an, ils ont augmenté de 4,4 % alors qu’ils représentent plus de 15 % de la consommation des ménages.
En son temps déjà, Marx ironisait sur les marchandises qui se rendent toutes seules au marché sur leurs petites jambes. « Les rapports entre les hommes apparaissent sous la forme fantomatique de rapports entre les choses. » Le chef de l’État croit-il vraiment abuser l’opinion en faisant mine de croire qu’il suffit d’appeler les grandes surfaces à la prudence face à ces marchandises qui s’augmentent toutes seules, pour répondre aux inquiétudes qui grandissent avec une inflation en hausse à 2,8 % et un pouvoir d’achat au point mort ?
Il est vrai que les marges très confortables de la grande distribution, tous ces ruisseaux de vif argent qui font les grandes rivières allant aux actionnaires ne sont pas absolument seules en cause dans ce niveau d’inflation inconnu depuis quinze ans. Les produits issus du pétrole, en premier lieu, ont connu selon les cas de 14 à 27 % de hausse en un an. La faute, entend-on, au baril de pétrole qui s’envole lui aussi et trompe, faut-il croire, la vigilance des pétroliers. Sauf que la marge réalisée par les distributeurs sur chaque litre de gazole, qui était de 7 centimes d’euro en octobre, passait en décembre à 9,5 centimes d’euro. La hausse du baril est certes réelle, qui met en jeu de multiples facteurs économiques et géopolitiques, mais elle n’en est pas moins soutenue par une spéculation internationale effrénée, dans le même temps qu’elle est une source de nouveaux profits pour les majors, autrement plus promptes, on le sait bien, à répercuter les hausses que les baisses.
En ce qui concerne l’alimentation, la tension est réelle sur les prix des matières premières agricoles, dont les céréales. Mais cette tension qui, selon la presse économique, suscite un vif intérêt chez les investisseurs qui semblent y voir « des opportunités », si elle a pénalisé les éleveurs, a généré une manne chez les céréaliers, qui ont vu leurs revenus augmenter l’an passé de 98 %.
Le président, rompant avec la tradition instaurée par son prédécesseur qui « tâtait le cul de vaches » pour mieux prendre le pouls du monde agricole, entend marquer par un discours qui se veut très important le Salon de l’agriculture. Invitera-t-il, là aussi, certains à la prudence et d’autres au courage face à l’adversité, le tout à la grâce de Dieu ? Le problème, c’est aussi que tous ses discours sont très importants depuis qu’il a décidé, à l’approche des municipales, de réoccuper le terrain. De sorte qu’on ne sait plus lesquels le sont vraiment ou, pour le dire comme Aragon : « Il y avait tant de grands mots que je ne savais lesquels croire. »
Nicolas Sarkozy et son gouvernement affrontent désormais une lame de fond. Près de 60 % des Français jugent négativement leur politique économique. Leur impopularité a gagné toutes les catégories et est très majoritaire. Mais il y a plus encore. Les annonces faites récemment comme celle de 200 euros pour les bénéficiaires du minimum vieillesse sont considérées à 69 % comme « des réactions en urgence pour éviter un mauvais résultat aux municipales ». Il reste une vingtaine de jours pour faire qu’un éventuel mauvais résultat pour la droite soit un excellent résultat pour toute la gauche.
l' Huma du 23 / 02 / 08
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