samedi 29 mars 2008

Cotiser plus pour une retraite plus faible .

Protection sociale . Le gouvernement entame une concertation dont il a fixé par avance l’issue : augmentation à 41 ans de la durée de cotisation. Le bilan de la loi Fillon appelle d’autres mesures.

C’est parti et, disons-le, plutôt mal parti. Le « rendez-vous retraite » a démarré hier par une journée marathon de rencontres avec les « partenaires sociaux » au ministère du Travail. Grand ordonnateur de l’événement, Xavier Bertrand soigne les apparences. Son discours lisse, pétri de bonnes intentions et de fausses évidences, ne cache pas l’essentiel : d’emblée, le gouvernement a fixé des règles du jeu qui augurent mal de la suite. À l’en croire, il s’agirait seulement, en 2008, de confirmer et d’amplifier la réforme de 2003, en allongeant la durée de cotisation à 41 ans. Du coup, selon M. Bertrand, le sujet ne mérite qu’une « concertation », en aucun cas une véritable négociation. Les syndicats risquent donc de n’être convoqués, rue de Grenelle, « que pour la photographie », remarque le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. De son côté, le chef du gouvernement a prévenu, il envisage déjà de faire passer son projet par voie « réglementaire », autrement dit en zappant le débat et le vote du Parlement. Le gouvernement semble avoir le souci de laisser le moins d’espace possible à la confrontation des points de vue.

Il est vrai que, depuis 2003, la réforme Fillon a subi l’épreuve du réel. Et le bilan n’est pas à son avantage. La « sauvegarde » du système de retraite devait passer, nous avait-on dit, par l’allongement de la durée d’activité et supposait donc un allongement sans fin de la durée de cotisation : après les 40 ans pour tous exigibles depuis 2008 suivrait le passage aux 41 ans entre 2009 et 2012, et ainsi de suite. En vérité, le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) le constate : le taux d’activité n’a pas augmenté. Signe le plus flagrant de l’échec, seuls 38 % des seniors sont encore en activité. À l’heure de partir en retraite, six salariés sur dix ont déjà été évincés des effectifs des entreprises. Dans ces conditions, l’augmentation des annuités nécessaires pour avoir une retraite à taux plein n’a pour effet que de baisser le niveau des pensions. Elle impacte tout particulièrement les salariés aux carrières déjà incomplètes, hachées par la précarité, le temps partiel, le chômage, et voués à de basses retraites.

Rien d’étonnant, dès lors, si la perspective d’un passage aux 41 ans est aujourd’hui récusée par l’ensemble des syndicats, la CFDT incluse, qui en avait pourtant acté le principe en approuvant la loi Fillon. Une telle mesure paraît, en outre, d’autant moins défendable que les négociations sur la pénibilité du travail ont échoué : le patronat fait toujours obstacle à la mise en place d’un véritable droit au départ anticipé pour les salariés usés avant l’heure, dont l’espérance de vie en retraite est ainsi diminuée. Passer aux 41 ans reviendrait ainsi à aggraver une inégalité criante devant la retraite.

l’érosion constante du niveau

des pensions

Deuxième aspect de l’échec des réformes, qui, après avoir été longtemps dissimulé, saute maintenant à la figure : l’érosion constante du niveau des pensions, fortement dénoncée par les retraités eux-mêmes lors de récentes manifestations. Deux dispositions, introduites par Balladur en 1993, reprises par Fillon, en sont à l’origine : le calcul de la pension à partir des 25 meilleures années de salaire de la carrière, au lieu des 10 meilleures précédemment ; et l’actualisation de ce salaire annuel moyen, lors de la liquidation de la retraite, en fonction de l’inflation, au lieu de l’évolution de l’ensemble des salaires. Enfin, les pensions elles-mêmes sont revalorisées selon les prix et non les salaires. Résultat : une chute du « taux de remplacement », référence clé en matière de retraite mesurant le montant de la pension par rapport au dernier salaire (selon la COR, il a « diminué d’environ 10 points entre les générations 1938 et 1985 »).

Les syndicats et la Caisse nationale d’assurance vieillesse réclament une correction du système, par un retour vers l’indexation sur les salaires, en soulignant qu’il en va de la crédibilité du régime par répartition. En particulier au sein des jeunes générations, qui, selon les enquêtes d’opinion, se montrent de plus en plus sensibles aux sirènes de la capitalisation. Le gouvernement se contente, pour le moment, de proposer une modification à la marge, portant sur le calendrier de la revalorisation des pensions. Pour la CGT, il s’agit de viser un taux de remplacement de 75 % et, en tout état de cause, une retraite égale au moins au SMIC.

Le MEDEF, pour sa part, aborde les discussions avec une idée fixe : reculer à 62, voire 63 ans, l’âge ouvrant droit au départ. Le gouvernement feint de s’y opposer tout en s’employant à rendre, dans les faits, ce droit de plus en plus virtuel en augmentant la durée de cotisation…

En dépit des intentions gouvernementales, l’issue de ce rendez-vous n’est pas jouée d’avance. Beaucoup dépendra de la capacité des syndicats et de l’opposition de gauche à imposer un débat franc, à libérer la question des retraites du carcan où certains veulent la maintenir, en prétendant que le salut économique du système est suspendu aux sacrifices des seuls salariés (voir page 4). En organisant une première journée de mobilisation, samedi, marquée par des manifestations à Paris et en province, la CGT, la FSU et Solidaires espèrent marquer de premiers points en ce sens.

Yves Housson

l' Huma du 28 / 03 / 08

Aucun commentaire: