Débat . Quarante ans après le fameux mois de mai, la CGT a réuni syndicalistes de l’époque et d’aujourd’hui. Une table ronde qui a permis de tirer des enseignements pour la période actuelle.
Le président de la République, en déclarant vouloir « en finir avec Mai 68 », lui a, malgré lui, redonné de l’importance et n’est pas étranger à l’intérêt immense qui lui est aujourd’hui porté. Indéniablement, ce constat de Georges Séguy s’est encore vérifié mardi dernier au siège la CGT. La table ronde qui a réuni l’ancien secrétaire général de la centrale syndicale, l’ancien membre du bureau confédéral et négociateur de Grenelle, Jean-Louis Moynot, Bernard Thibault et Bruno Julliard, président de l’UNEF pendant la lutte du CPE, a connu un franc succès. Plusieurs centaines de personnes y ont assisté, soucieuses de « mieux comprendre ce qui s’est passé » lors de ce fameux mois. Soucieuses aussi d’en « tirer des enseignements » qui soient utiles aux luttes d’aujourd’hui.
« Non, la France ne s’ennuyait pas en 1968, elle grondait. » À entendre Georges Séguy, la France des ouvriers et des petits employés grondait même depuis plusieurs mois pour ne pas dire depuis plusieurs années. L’intransigeance du pouvoir gaulliste totalement sourd aux revendications sociales avait alimenté un profond mécontentement général. En témoignent les conflits et les jours de grève qui se sont multipliés les deux années précédantes.
Outre ce ras-le-bol grandissant, « le développement de la combativité du mouvement ouvrier a été également rendu possible par le pacte d’unité et d’action conclu par la CGT et la CFDT en janvier 1966 », rappelle l’ancien secrétaire général. Dans les universités, la situation n’est pas plus calme. « Depuis le début de l’année 1967, le SNE sup et l’UNEF ont engagé la lutte pour la modernisation de l’enseignement supérieur ». Petit à petit, les ferments de l’explosion sociale se sont accumulés, les conditions nécessaires se sont réunies. Il ne manquait plus qu’« une étincelle ». « Ce moment le plus décisif » où s’est établie la convergence entre travailleurs et étudiants, Georges Séguy le situe dans la nuit du 10 au 11 mai. « J’étais à mon domicile. J’écoutais la radio qui rendait compte des affrontements violents entre CRS et étudiants rue Gay-Lussac. Le gouvernement avait engagé les forces spéciales responsables de Charonne », se rappelle le syndicaliste.
« Indigné, angoissé », il comprend cette nuit-là que « le pouvoir a décidé de mater la révolte étudiante ». Face au « péril qui menace les jeunes révoltés », il estime que son syndicat ne peut se limiter « à de simples protestations, même véhémentes ». Le 11 mai, à 9 heures, Georges Séguy réunit donc la FEN, la CFDT et l’UNEF à la bourse du travail de Paris. « Halte à la répression ! Vive l’union des travailleurs et des étudiants ! » proclame une déclaration commune élaborée dans la matinée qui appelle à la grève et à manifester le lundi 13 mai. Le succès de cette journée marque un véritable tournant que le Figaro reconnaît lui-même à sa façon en titrant : « Le mouvement ouvrier a pris le pas sur l’agitation ». Dès lors, « dans nos esprits la grève générale ne fait plus de doute », confie Georges Séguy. Une grève dont la concrétisation et l’ampleur doivent beaucoup à la stratégie d’autogestion arrêtée par la CGT. « Si la France a été paralysée pendant quinze jours, c’est parce que les travailleurs ont été maîtres de bout en bout du mouvement. »
Sur cet aspect « déterminant » de l’autogestion de la grève dans le déroulement du conflit, Jean-Louis Moynot insiste longuement. « Sans cela, il n’y aurait sans doute pas eu 10 millions de grévistes. » Tout jeune membre du bureau confédéral, il est de la délégation de la CGT qui négocie rue de Grenelle. « Surpris » par la faiblesse de la résistance qu’oppose celle du CNPF et par « la lucidité » dont fait preuve le premier ministre, Georges Pompidou, le syndicaliste énumère les principales concessions et souligne leur importance : l’unification du SMIG et du SMAG (1) et sa revalorisation de 30 %, la hausse générale de 10 % des salaires, l’instauration du droit syndical… Il insiste sur « le constat de Grenelle ». « Parler d’accord de Grenelle est un mensonge » dont le but était de jeter le discrédit sur la CGT et son secrétaire général.
Mai 68 était-t-il un mouvement révolutionnaire ? Aucun des intervenants ne le pense. S’ils concèdent que sans aucun doute une partie de ceux qui ont pris part au mouvement avaient des aspirations révolutionnaires, tous aussi soulignent l’absence d’alternative à gauche.
Jusqu’il y a peu encore président de l’UNEF, Bruno Julliard évoque « la fascination des jeunes d’aujourd’hui pour Mai 68 », perceptible en particulier dans les slogans et les affiches qui ont fleuri à l’occasion du mouvement contre le CPE. Une fascination qui témoigne selon lui de « l’impatience » et « du refus de l’ordre établi » qui caractérisent toujours la jeunesse. Jeunes et étudiants sont « les héritiers de Mai 68 ». Mais des « héritiers libres et décomplexés ». L’ancien syndicaliste étudiant pointe les différences entre le contexte de l’époque (absence de chômage et de précarité de masse) et celui d’aujourd’hui. Par contre, la solidarité intergénérationnelle et l’autogestion de la grève comptent aux nombres des aspects de 1968 qui restent aujourd’hui d’actualité. Pour Bruno Julliard, il ne s’agit pas de répéter mais de « construire de nouvelles luttes ».
Dans la foulée de l’évocation du contexte de l’époque par Georges Séguy qui a fait apparaître des similitudes politiques et sociales, en particulier la recrudescence de la conflictualité sociale, l’absence d’alternative politique et la surdité totale du pouvoir aux aspirations et revendications des travailleurs et de la jeunesse, Bernard Thibault pointe celle du « traitement médiatique ».
Des enseignements de 68, le secrétaire général en retient trois fondamentaux. « La conduite démocratique du mouvement » qui a été « un gage d’efficacité ». « L’unité syndicale » qui s’est avérée être « une véritable force d’entraînement et de mobilisation ». Et enfin « l’existence d’organisations structurées (syndicales - NDLR) » sans lesquelles « il ne peut exister un mouvement social incontournable ». Il pointe deux conditions qui ont permis la réussite de 68 et qui ne sont pas réunies aujourd’hui. Pour Bernard Thibault, la faiblesse du nombre de syndiqués et le morcellement du paysage syndical sont des obstacles majeurs à la constitution d’un rapport de forces suffisant pour contraindre le gouvernement à satisfaire les revendications des salariés.
Le secrétaire général de la CGT plaide enfin pour un effort de son organisation en direction de la jeunesse. « Il faut l’investir » dans les responsabilités au sein du syndicat car « chaque génération fait la CGT de sa période ».
(1) Salaire minimum interprofessionnel garanti
et salaire minimum agricole garanti.
Pierre-Henri Lab
l' Huma du 02 / 05 / 08
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