jeudi 10 juillet 2008

La colère effervescente des Goodyear

Pneumatique . Détermination devant les grilles de l’usine d’Amiens alors que la justice ordonne la levée du barrage.

Amiens (Somme), envoyée spéciale.

Un « jour de grève comme les autres » hier sur le parking de l’usine Goodyear d’Amiens. Tas de pneus qui brûlent, musique qui grésille dans les baffles, allées et venues de journalistes… Ici, pas question de qualifier la journée de particulière. « Pour nous, il n’y a pas de date butoir », répète sans cesse la cinquantaine de salariés présents, en référence aux propos de la direction qui avait donné aux syndicats jusqu’à hier 16 heures pour entériner le changement d’organisation du temps de travail en 4 x 8. Si la CFE-CGC et la CFTC ont signé l’accord, FO, SUD et CGT (majoritaire) y restent fermement opposés. « On est soutenu par la majorité des salariés qui se sont spontanément mis en grève depuis vendredi », se félicite Mickaël Wament, secrétaire du comité d’entreprise et délégué CGT.

Non, hier à Amiens, les grévistes se sont montrés beaucoup plus loquaces sur le lock-out imposé par Goodyear depuis lundi. « La direction a prétexté des violences pour tout fermer et déserter l’usine », explique Virgilio Mota da Silva, syndicaliste SUD, à un huissier venu constater l’impossibilité de travailler. « Je ne sais même plus qui est gréviste et qui ne l’est pas… On n’a plus accès à nos locaux, il n’y a plus personne au poste de garde. Pour nous, la liberté du travail, c’est important ! » Depuis lundi donc, se joignent aux grévistes des intérimaires déboussolés. « La direction m’empêche de gagner de l’argent ! », peste Stéphane, de passage chez l’équipementier automobile. « Ma boîte d’intérim me dit d’attendre car en principe je suis en mission, mais Goodyear ne me paiera jamais des heures que je n’ai pas effectuées ! Je suis coincé, ma boîte d’intérim ne va jamais s’opposer à Goodyear. » Embauchés en mai, 300 intérimaires renouvellent depuis leur contrat semaine après semaine, avec de moins en moins d’envie. « Qu’il y ait les 4 x 8, le plan social ou la fermeture de l’usine, on sera toujours les premiers virés. » Sur le portail fermé à clé, une pancarte : « Les méthodes de Goodyear nous écoeurent. »

En CDI depuis 2002, Johan n’a pas hésité lors du référendum fin juin. À la question « pour la sauvegarde de votre emploi, acceptez-vous le changement d’organisation du temps de travail et ses contreparties ? », il a répondu « non ». « J’ai voté par courrier, j’ai su que les syndicats appelaient au boycott trop tard ». Si le oui a obtenu 73 % lors du référendum, cela ne représente que 328 voix sur 1 500 salariés et les syndicats refusent donc sa légitimité. Depuis Johan assure le piquet de grève sans relâche. « Si les 4 x 8 sont appliquées dans l’entreprise, je me barre. » Johan et ses collègues refusent de faire de « nouveaux sacrifices », « le boulot est déjà trop dur comme ça ». Comme preuve, ils brandissent un courrier de soutien envoyé par un psychiatre, Claude Nachin. « Le changement de rythme permanent, le travail posté avec travail de nuit sont la source de davantage de maladies physiques et psychiques au détriment des travailleurs, de leurs familles et de la Sécurité sociale… Avec les 4 x 8, on atteint la folie », peut-on lire dans le texte écrit par le médecin. En retrait jusqu’alors, un salarié s’approche. « Goodyear oblige même ses employés à continuer à travailler quand ils sont malades. » Didier sait de quoi il parle, il est secouriste sur le site depuis 1989. « Quand quelqu’un se blesse, le chef lui demande de ne pas le déclarer. S’il va à l’hôpital, on lui dit de refuser de se mettre en arrêt de travail, sinon il sera le prochain sur la liste des licenciements. » Portant Didier l’assure, des accidents « il y en a au moins trois par jour depuis qu’il faut faire du chiffre » : mains broyées, doigts coupés, brûlures…

« On n’acceptera jamais les 4 x 8 », affirme Pinto, qui depuis huit ans travaille 24 heures chaque week-end pour 1 400 euros. « Toutes les usines où Goodyear les a mis en place, en Angleterre, au Texas, en Australie… ont fermé quelques mois après. » Aujourd’hui, même si le site d’Amiens acceptait la mise en place des 4 x 8, la direction a prévenu qu’elle supprimerait 400 des 1 500 emplois en trois ans. « S’ils veulent fermer le site, ils devront nous payer très cher. » Hier soir, suite à une plainte déposée par la direction pour « entrave à la liberté du travail », le tribunal de grande instance d’Amiens a ordonné aux grévistes de dégager l’entrée de l’usine sous peine de 2 000 euros d’astreinte par infraction constatée. Réaction immédiate devant les grilles de l’usine d’Amiens : « On veut bien arrêter de faire cramer des pneus mais pas plus. Le droit de grève, ça existe encore. »

Christelle Chabaud

l' Huma du 09 / 07 / 08

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