Par Régis TRILLES le samedi 27 septembre 2008, 17:24 - "Faire exister la gauche!" - Lien permanent
Économie. Face à la gigantesque crise financière qui secoue la planète, des économistes, syndicalistes, responsables politiques avancent pour l’Humanité dix propositions pour en sortir.
Il faut « moraliser », « réguler » le capitalisme, juger et condamner les « responsables »… Derrière le discours, aux accents volontaristes et indignés, prononcé par Nicolas Sarkozy à New York lundi, comme au travers de nombre de commentaires sur le désastre produit par le système financier, une intention se dégage clairement : délimiter, très étroitement, le périmètre du débat qui s’engage sur les leçons à tirer de la crise, les remèdes à appliquer.
1. Une réforme du crédit pour affamer la bête financière
Au coeur de la crise actuelle se trouve le développement d’un certain type de crédits (tels les subprimes), de techniques (titrisation) et de produits financiers qui garantissaient aux banques et aux fonds d’investissement des taux de profit introuvables ailleurs. Les banques ont mobilisé leurs ressources au service de ces jeux purement spéculatifs, au détriment de l’investissement productif et social. Autant dire l’importance cruciale, pour combattre ce « cancer financier », d’une réforme du crédit.
Avancée dès les années 1980-1990 par l’économiste Paul Boccara, appuyée aujourd’hui largement au PCF, à la CGT ou à ATTAC, l’idée est d’instaurer un « crédit sélectif », avec des taux d’intérêts différenciés en fonction de la finalité du projet à financer : d’autant plus bas que les projets seraient créateurs d’emplois, de productions durables, et, à l’inverse, d’autant plus élevés s’il s’agit d’opérations spéculatives. Cette proposition pourrait être déclinée à tous les échelons : régional, national, européen, mondial. Mais elle ne peut trouver toute sa portée qu’en lien avec un mouvement social pour un nouveau type de croissance, que si, dans les banques et les entreprises, les salariés peuvent peser sur les choix d’investissements.
2. Mise en place d’un pôle financier public
Devant le bilan accablant des banques et autres fonds d’investissements privés, la proposition, portée par de nombreuses voix dans la gauche sociale et politique, de créer un « pôle financier public », investi de missions répondant effectivement à l’intérêt général, prend plus de relief que jamais. Ce pôle, explique ainsi la CGT, consisterait en la mise en réseau d’institutions de statut public, comme la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d’épargne… Il interviendrait notamment dans les domaines du soutien au développement des PME et du tissu économique local, du financement du logement social, de la politique de la ville, des infrastructures de transports, de la politique industrielle, de l’aide à l’innovation… Le pôle serait placé sous un « contrôle public et social », assuré par le Parlement, les élus locaux, les organisations syndicales, des acteurs de la société civile.
3. Des fonds régionaux pour l’emploi et la formation
Face aux difficultés de financement rencontrées par les PME, le PCF a défendu l’idée de créer des fonds régionaux pour l’emploi et la formation (FREF). Objectif : utiliser autrement l’argent des collectivités territoriales alloué au développement économique, afin d’influer sur le comportement des banques et des entreprises. À l’image de la région Rhône-Alpes, certains conseils régionaux se sont lancés dans l’expérience. Ainsi Christiane Puthod, responsable du Fonds rhônalpin, développe ces missions : « J’avais par exemple un patron d’une entreprise de la chaussure - importante dans notre région - qui me disait : "Ma boîte va bien, je n’ai pas besoin de l’argent de la région. Par contre, si vous pouviez m’aider à obtenir un crédit bancaire, c’est ça dont j’ai besoin." Lorsqu’une entreprise a un projet d’investissement et d’emploi, la région se porte garante pour lui permettre d’obtenir un prêt auprès des banques. Doté de 5 millions d’euros, nous levons ainsi environ 50 millions d’euros par an de crédit pour les PME - soit le tiers du total des aides régionales. C’est économiquement et socialement plus juste et plus efficace. L’idéal serait que progressivement le Fonds régional se substitue à toutes les subventions régionales aux entreprises. »
4. Abrogation de la « liberté de circulation des capitaux »
Si les crises financières se répètent, c’est « parce que toutes les entraves à la circulation des capitaux et à l’« innovation » financière ont été abolies », constatent, dans un texte publié au printemps, plusieurs dizaines d’économistes européens (lire notre édition du 16 mars). Mettre un terme à l’instabilité « suppose d’intervenir au coeur du "jeu", c’est-à-dire d’en transformer radicalement les structures », notent-ils. « Or, au sein de l’Union européenne, toute transformation se heurte à l’invraisemblable protection que les traités ont cru bon d’accorder au capital financier. » D’où leur appel à « l’abrogation de l’article 56 du traité de Lisbonne, qui, interdisant toute restriction à ses mouvements, offre au capital financier les conditions de son emprise écrasante sur la société ».
5. Changer les statuts et les missions de la BCE
Objectif unique de lutte contre l’inflation et indépendance de la Banque centrale européenne, injection massive de liquidité pour sauver les banques, la Banque centrale européenne doit être réformée. Pour une politique monétaire favorable à la croissance réelle des entreprises et qui favorise l’emploi, Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unie européenne au Parlement de Strasbourg préconise « de revoir les statuts qui octroient cette toute puissance et même lui fixent cette mission ». La première priorité de la BCE devrait être la croissance de l’emploi en quantité et en qualité. La recherche d’une stabilité des prix serait conditionnée à cet objectif prioritaire. Selon l’eurodéputé communiste, « la BCE utiliserait la puissance de la création monétaire pour inciter au financement d’emplois stables, de bonnes formations et une sécurité de revenu. Un tel objectif serait financé au moyen de crédits bancaires aux entreprises dont les coûts seraient abaissés grâce à des refinancements massifs de la BCE. Les taux d’intérêt seraient d’autant plus bas que les entreprises programmeraient des investissements productifs créateurs d’emplois et de véritable formation pour chaque individu. »
6. Pour s’émanciper du dollar, une monnaie commune mondiale
Le dollar, monnaie d’échange imposée au monde depuis des décennies, est utilisé par les États-Unis pour faire financer par les autres pays leur gigantesque déficit et asseoir leur domination économique. Face aux dégâts de la suprématie du billet vert, lée de créer une véritable monnaie commune mondiale reprend du poil de la bête. Se substituant au dollar pour l’ensemble des transactions commerciales et financières internationales, elle pourrait être émise par un Fonds monétaire international (FMI) profondément transformé, où les peuples auraient, à égalité, voix au chapitre. Cette monnaie commune pourrait en particulier être mise au service d’une coopération Nord-Sud, pour développer des biens publics comme l’eau, l’énergie, etc., via des crédits à long terme, à taux très bas.
7. Le « SLAM », une limite au profit des actionnaires
Si la crise met en lumière les ravages des marchés financiers dans la sphère du crédit, elle ne fait pas oublier les conséquences de leur domination sur les entreprises, où l’exigence de taux de rentabilité à deux chiffres se solde par des décisions dramatiques, comme le montre l’actualité quotidienne des fermetures de sites, des plans sociaux, des « gels » des salaires, etc. C’est pour réduire cette emprise de la finance actionnariale que Frédéric Lordon, économiste au CNRS, propose d’instituer, « réglementairement et autoritairement », un seuil limite au profit, « seul moyen de lui ôter toute incitation à pressurer les entreprises, leurs salariés et leurs sous-traitants, en créant les conditions qui rendent la surexploitation sans objet ». Au-delà de cette limite serait appliqué un prélèvement fiscal intégral. Cette « mesure contre la démesure de la finance » est baptisée par Frédéric Lordon du nom de SLAM, pour Shareholder Limited Authorized Margin, ou marge actionnariale limite autorisée.
8. Des droits nouveaux pour les salariés face aux actionnaires
Le développement des marchés financiers et la recomposition du pouvoir au sein de l’entreprise en faveur des financiers ont privilégié les intérêts des actionnaires au détriment des salariés. Cette dérive conduit à une déresponsabilisation des directions d’entreprise et à l’explosion des rémunérations patronales. L’intervention des salariés sur les choix de gestion des entreprises s’impose pour placer l’économie dans un développement social et sociétal. Dans un entretien paru dans la revue Mouvements, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, proposait « de dépasser la structure de représentation où les salariés sont informés, consultés, mais où ils n’ont pas accès aux lieux où se prennent les décisions stratégiques, qu’il s’agisse de conseils d’administration ou de conseils de surveillance. Certains voudraient réserver aux seuls salariés devenus actionnaires le droit éventuel d’être assis à la table. Nous dénions au propriétaire faisant fructifier son capital ce privilège exclusif, et nous estimons que ceux qui produisent les richesses par leur travail devraient avoir le droit, à ce seul titre, d’être présents là où s’élaborent les décisions. »
9. Un meilleur contrôle interne des banques
Les salariés de la CGT Banques-Assurances réunis en congrès cette semaine ont avancé une proposition pour améliorer le contrôle interne des banques. Outre l’amélioration des contrôles traditionnels, ils souhaitent que les banques ou opérateurs financiers justifient à chaque comité d’entreprise l’ensemble des sommes échangées sur les marchés financiers, le montant des pertes comme des gains. « Avec un tel " bilan ", nous pourrions interpeller la banque et nous assurer que tous les contrôles sont effectués pour éviter les risques », explique Jean-Jacques Surzur, délégué national CGT du Crédit Mutuel.
10. Valoriser le travail, pour de bon
Loin d’être le simple produit d’une « dérive » du capital, la crise d’aujourd’hui s’inscrit dans son implacable logique, qui s’est traduite depuis des années par un double processus : inflation des activités financières d’un côté, déflation salariale et récession sociale de l’autre. Partant de cette analyse, la CGT plaide pour une authentique « valorisation du travail ». Une ambition qui passe, à la fois, par un développement d’emplois de qualité, des qualifications des salariés, une revalorisation des salaires, et par un soutien aux investissements productifs, à l’aide d’un crédit bancaire sélectif. Le gouvernement pourrait, sans délai, donner le bon signal en décidant d’une hausse du SMIC et des retraites.
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