vendredi 14 novembre 2008

Docteur J. et Mister H.

Editorial par Maurice Ulrich

C'est un peu l'histoire du Docteur Jekyll et de Mister Hyde. Le docteur Jetkozy court à travers le monde et l'Europe, s'inquiète des ravages de la crise du système devenu fou et prépare le G20 en se donnant des airs de sauveur et président du monde. Mister Hydkozy poursuit obstinément son oeuvre de dérégulation.

La même histoire, mais navrante, faite d'une triviale ambition. Il ne s'agit plus des brouillards de Londres mais des rideaux de fumée d'une politique qui ne renonce pas à la voie, c'est le cas de le dire, qu'elle s'est tracée. Servir le capital.

Que pense Nicolas Sarkozy, président de la République et président de l'Union européenne jusqu'à fin décembre, de l'entreprise d'ouverture totale à la concurrence de tous les réseaux de chemins de fer européens d'ici à 2010 ? Ah, la concurrence. Voilà le vrai dieu, la vraie foi. Qu'en pense Gordon Brown, le premier ministre britannique, quand en Grande-Bretagne la désorganisation du rail

a été telle, entre retards, accidents, tarifs, suppressions d'emplois, qu'il a fallu que l'État reprenne pour partie

le contrôle au moins opérationnel du réseau ? Deux accidents majeurs en trois jours, en octobre 2000, avaient révélé à l'opinion l'irresponsabilité et l'incurie du grand groupe privé Railtrack et l'anarchie d'un réseau livré

au total à plus de cent opérateurs privés. Un Eurostar complet amènera aujourd'hui des centaines de cheminots britanniques à la manifestation de Paris.

Que pense de cette ouverture totale à la concurrence

la chancelière allemande Angela Merkel ? Alors

qu'une partie du réseau est déjà livrée à la concurrence, un vaste débat, face à la privatisation de l'historique Deutsche Bahn, a traversé tout le pays voilà quelques mois avec la mobilisation de secteurs entiers de l'opinion, créant même une crise au sein du SPD, suscitant l'opposition résolue des Verts, de Die Linke

et bien entendu des syndicats concernés qui seront également présents à Paris. Mais la CDU d'Angela Merkel reste sur ses rails : ouverture du capital

à de puissants investisseurs. Dans quel but ? Le patron de la DB ne fait même pas mystère de ses intentions.

Le transport de personnes ne l'intéresse pas vraiment. Non, ce qu'il veut obtenir, par les airs, la route et le fer quand il est rentable, c'est une taille internationale !

En attendant la GVG, par exemple, compagnie privée de transports de Francfort, n'assure pas ses liaisons toute l'année. Certaines périodes ne sont pas rentables.

Dès 1996, la Commission européenne énonçait

ses axes de travail : « Les chemins de fer doivent être exploités sur une base commerciale. » En 2001,

elle adoptait un « paquet ferroviaire » en trois étapes :

la première instituait la séparation de la gestion

des infrastructures et de la fourniture de services ;

la deuxième ouvrait en 2007 le marché du fret dans l'Union ; la troisième vise l'ouverture en 2010 du marché du transport de passagers à l'échelle internationale.

À quelles fins ? La logique du train en marche est on ne peut plus claire. Privatisations, actionnaires, dividendes, choix de la rentabilité maximale au détriment du service public. Et peu importe, semble-t-il, les expériences désastreuses comme celles de la Grande-Bretagne.

Peu importe surtout les leçons de la crise majeure

que nous traversons et qui appellent, à l'inverse de nouvelles dérégulations, la relance des services publics, pour l'économie réelle. Comme ces médecins qui

ne connaissaient qu'un remède, la saignée, quitte à tuer

le malade, ils n'ont de cesse, selon les mots du grand humaniste Giordano Bruno (brûlé en 1600), « de redoubler les maux du monde par les effets du commerce (…) En considérant en fin de compte la raison du plus fort comme la meilleure ». Mais, aujourd'hui, l'Europe du rail est à Paris. Elle dit non, elle propose, elle agit, cela va s'entendre.

Par Maurice Ulrich

l' Huma du 13 / 11 / 08

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