Tout d’abord un mot sur la situation actuelle. Les néo-libéraux, qui n’ont cessé de dénoncer « l’Etat Providence » pour l’abattre, l’appellent au secours pour les sauver de la banqueroute générale. Aussitôt, leurs fondés de pouvoir, les gouvernements, qui ne parlaient que de « faillite et cessation de paiement », « dette laissée aux générations futures », sortent des sommes astronomiques, comme d’autres les lapins du chapeau… sans même la garantie élémentaire de siéger au conseil d’administration. Quand on sait ce qui est exigé des chômeurs pour toucher de maigres allocations !

Réalité de la lutte des classes ! C’est la « société du risque » chère à Denis Kessler et François Ewald où la socialisation des pertes succède à la privatisation des profits, alors que les licenciements « boursiers » vont un train d’enfer et que les docteurs Diafoirus au chevet de l’économie pérorent sur les antennes.

Comme dit Alain Badiou : « Peut-on encore oser (…) affirmer qu’il est impossible de boucher le trou de la « Sécu », mais qu’on doit boucher sans compter les milliards le trou des banques ? »

On ne parle plus guère des « mérites » des fonds de pension, du système par capitalisation, pour financer les retraites. Et pour cause, ceux qui y ont cédé se retrouvent ruinés ! Si l’impact de la crise est très limité pour l’épargne-retraite des Français, c’est qu’une faible partie de la population a souscrit à des plans individuels ou d’entreprise.

Marx nous rappelle opportunément que « toute forme de production engendre ses propres rapports juridiques, sa propre forme de gouvernement, etc… C’est ainsi que les économistes bourgeois ont le sentiment vague que la production est plus facile avec la police moderne qu’à l’époque par exemple du « droit du plus fort ». Ils oublient seulement que le « droit du plus fort » est également un droit, et qui survit sous une autre forme dans leur « Etat juridique ». On en sait quelque chose avec la chasse à l’homme, à la femme et l’enfant, ainsi qu’avec la délation, savamment organisées au « pays des droits de l’homme »…

Lors du congrès national des observatoires régionaux de la santé, réuni à Marseille les 16 et 17 octobre, Yolande Obadia, directrice de l’ORS PACA, soulignait que « les écarts de santé se creusent entre classes sociales vis-à-vis des pathologies émergentes (l’obésité) ou chroniques (les handicaps), en matière de santé mentale… Idem pour la prévention et le dépistage des maladies cardio-vasculaires ». La différence d’espérance de vie à la naissance en est la manifestation la plus évidente et la plus scandaleuse !

Dans la revue « Economie & Politique » de Juillet-Août 2008., le docteur Michel Limousin voit dans 2008 « l’année de la déconstruction » pour la protection sociale et la santé. Son constat est accablant sur deux points.

Hausse du renoncement aux soins.

« Les patients renoncent de plus en plus aux soins » du fait de l’addition de la crise du pouvoir d’achat et du recul des prestations sociales. « C’est la nouvelle pauvreté… La Sécurité sociale rembourse moins et les complémentaires ne sont pas accessibles à tous ». 5 millions de personnes en sont dépourvues. A noter que « les soins négligés sont des soins nécessaires pour lesquels le reste à charge de l’assuré est le plus élevé : 63% en dentaire, 25% en lunetterie, 16% en médecine spécialisée, 9% en médecine générale. » S’y s’ajoutent le scandale des refus de soins CMU, et des dépassements d’honoraires - « pratique majoritaire chez les spécialistes » - qui ont augmenté « de plus de 40% en dix ans en valeur réelle » selon l’IGAS (soit 2 milliards d’euros sur un total de 19 milliards d’honoraires) et sont « un obstacle à l’accès aux soins. »

La situation des hôpitaux publics

Les différents plans qui se sont succédés ont eu pour conséquence un endettement important. « Devant leur retard en investissement, les hôpitaux ont eu l’autorisation d’emprunter directement auprès des banques » (cf. le plan « Hôpital 2007 ») les dépenses passant de 4,9 milliards d’euros en 2002 à 7,4 milliards en 2006, soit + 52 %… « Mais la conséquence directe a été que l’encourt de la dette a augmenté de 13,6 % entre 2003 et 2004… La charge a représenté en 2006, 75% de la capacité d’autofinancement générée par les comptes d’exploitation. » Une crise s’annonce, tout est programmé pour, avec notamment le passage à T2A (tarification à l’acte). « Les cliniques privées auront le beau rôle. Le service public le mauvais… » Sans oublier « le manque de personnels, la démographie médicale catastrophique et la fuite vers le privé. »

Chacun constate les méfaits de la maîtrise comptable alors que « nous savons tous que l’activité de protection sociale et de santé est aussi une activité qui participe au développement économique et à la création de richesses. »

Les « solutions » du gouvernement.

Il organise le recul de la protection sociale solidaire. D’une part avec la poursuite du transfert des charges sur le budget des ménages ou via les complémentaires, avec les franchises « médicales » et les menaces qui pèsent sur le remboursement à 100% des affections de longue durée (ALD). L’association française des diabétiques déplore « une hiérarchisation médicalement aberrante » des maladies. D’autre part, en renforçant son contrôle sur l’hôpital public à travers « de nouvelles conditions de management, en éliminant les maires des conseils d’administration et en favorisant l’entrée du privé à l’hôpital public. »

Le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2009 présenté lors d’un Conseil des ministres extraordinaire le 13 octobre [4]vise à ramener le déficit du régime général à 8,6 milliards d’euros et fixe la progression de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) à 3,3 % ; ce qui suppose des économies d’environ 2,2 milliards, obtenues par la hausse du ticket modérateur hors parcours de soins, l’extension du dispositif de mise sous entente préalable aux activités hospitalières autres que l’ambulatoire, l’amélioration des prescriptions (médicamenteuses et actes paramédicaux…)…

L’Union Nationale des Organismes Complémentaires de l’Assurance-Maladie serait systématiquement associée à la négociation des conventions avec les professionnels de santé et la validité d’un accord serait conditionné à sa signature dans le secteur où le financement des OC (organismes complémentaires) est important.

Au plan des recettes, l’assurance-maladie recevrait d’1,4 milliard d’euros, dont 1 milliard proviendrait de la hausse de la taxe sur le chiffre d’affaires « santé » des complémentaires passant de 2,5 à 5,9 % en 2009 et serait affecté au fonds CMU. L’argument développé par le gouvernement pour taxer les mutuelles est d’une malhonnêteté intellectuelle foncière. En effet, si les mutuelles disposent de réserves conséquentes, ce sont les Directives européennes sur l’assurance qui leur ont imposé des « règles prudentielles » très dures pour augmenter leur « marge de solvabilité », avec, en perspective la réduction de la prise en charge des régimes obligatoires au profit des organismes privés ! Les mutualistes en ont supporté le coût à travers leurs cotisations.

Le PLFSS crée une contribution patronale, dite « forfait social », de 2% sur certaines niches sociales, telles les sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation, les abondements de l’employeur aux plans d’épargne d’entreprise et les contributions de l’employeur au financement des régimes de retraite supplémentaires. Elle rapporterait 400 millions d’euros en 2009.

Parmi les mesures visant à « encadrer les niches fiscales », il y a entre autre :

• L’évaluation systématique, trois ans après leur création, des dispositifs d’exonération ;

• L’augmentation sur trois ans de la part patronale déplafonnée des cotisations retraite, compensée par une baisse des cotisations chômage. Rapport estimé pour la CNAV : 1,8 milliard en 2009 ;

• L’augmentation de 300 millions d’euros du transfert de la branche AT-MP (accidents du travail & maladies professionnelles) à la branche maladie du fait de la sous-déclaration des AT.

Concernant les AT-MP, il faut noter :

• La prise en charge des dispositifs médicaux (prothèses dentaires et auditives, frais d’optique) serait améliorée pour les victimes d’AT-MP…

• Un revenu de remplacement serait mis en place entre la date de reconnaissance de l’inaptitude et la date de mise en œuvre de la décision de l’employeur de reclasser ou de licencier le salarié. Pendant cette période, d’une durée maximale de 30 jours, il est proposé de poursuivre le versement des indemnités journalières qu’elles percevaient durant leur arrêt de travail.

Le 22 octobre, Mme Bachelot, ministre de la santé, présentait le projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires. » Sa caractéristique est qu’il « caporalise la santé » selon Yves Housson, et organise la confusion entre le public et le privé, au bénéfice de celui-ci, puisque « selon toute probabilité, les cliniques choisiront les activités qu’elles jugent les plus rentables. » « La gouvernance va calquer sur l’hôpital public le mode de gestion d’une entreprise privée, avec dans le rôle du patron un directeur doté de pouvoirs essentiels : nomination des personnels, ordination des dépenses et des recettes, politique sociale, organisation du travail, et même, latitude pour mettre en œuvre un intéressement aux résultats en guise de rémunération, comme dans le privé… Ce « manager » qui pourra être recruté dans le privé, n’est responsable que devant le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS), qui contrôle étroitement un conseil de surveillance remplaçant l’actuel conseil d’administration de l’hôpital présidé par le maire de la commune. »

Une nouvelle structure est créée, la Communauté hospitalière de territoire (CHT) qui « sera l’outil idéal pour mettre en œuvre restructurations et fermetures de sites jugés non rentables ».

Les Agences régionales de santé vont remplacer les agences régionales de l’hospitalisation. Elles seront dotées de pouvoirs étendus à l’ensemble du système de soins, ambulatoires et hospitaliers, et aux services médico-sociaux. Son conseil de surveillance sera présidé par le préfet de région, son directeur nommé en Conseil des ministres aura la haute main sur l’évolution du système hospitalier… « L’ARS, souligne Yves Housson, a tout le profil d’une préfecture sanitaire donnant à l’Etat le pouvoir de gérer le système hors de tout contrôle démocratique. La sécu est mise hors jeu. » Pas de vraies garanties sur l’accès aux soins, de vagues dispositions pour réguler l’installation des médecins, et limiter les refus de soins opposés aux patients en CMU… Aucune mesure concrète contre les dépassements d’honoraires. Le gouvernement soigne sa clientèle…

C’est un budget déjà daté et marqué par la crise financière que les députés vont examiner.

Quelle(s) alternative(s) ?

Trois questions essentielles à pérennisation de la Sécurité sociale demeurent :

• D’abord, démocratiser son fonctionnement, par l’intervention des assurés sociaux et des salariés, des associations de malades et des mutualistes. Ne revient-il pas aux intéressés eux-mêmes de définir les choix et orientations « stratégiques » puisqu’ils contribuent au financement du système grâce à une partie de leur salaire « socialisée » ? N’oublions pas que depuis 1995, la CNAM est dirigée par les adversaires historiques de la Sécurité sociale.

• Ensuite, cesser les déremboursements et prendre en compte les besoins et les pathologies d’une société du 21ème siècle ; sans refuser a priori l’évaluation du système et la répression de tous les abus (dépassements d’honoraires, dessous de tables, fraude, AT-MP passés en maladie, etc…). Réfléchir à d’autres modes de rémunération que le paiement à l’acte pour les médecins. Définir une politique du médicament vigilante sur les nouveaux produits mis sur le marché ; leur efficacité n’est pas toujours, loin s’en faut, avérée par rapport à ceux qu’ils remplacent, mais leur coût est nettement supérieur ! Dans ce cadre une politique de prévention authentique prendra tout son relief, notamment en médecine scolaire et médecine du travail, fortement sinistrées.

• Enfin, engager la réflexion sur le financement de la protection sociale, en excluant tout désengagement des entreprises, car là sont produites les richesses. Le président de la Cour des Comptes s’émeut régulièrement des sommes qui, indûment, échappent au financement de la Sécurité sociale, de la part des entreprises (parachutes dorés, stock-options…) comme de l’Etat.

Ces questions majeures doivent être mises sur la place publique à travers des Etats-généraux dignes de ce nom. La santé est un bien commun de l’humanité. A ce titre, elle doit échapper aux appétits financiers et lucratifs. Il appartient aux citoyens de promouvoir cet acquis, car le « premier mouvement social » de France semble frappé du syndrome de l’albatros, si bien décrit par Baudelaire : « ses ailes de géant l’empêchent de marcher »…

Ambroise Croizat voyait dans le plan complet de Sécurité sociale (enfance, santé, vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles) « le système le plus juste, le plus humain, basé sur une vraie solidarité nationale et qui permet de garantir à tous une véritable protection sociale… Une seule chose doit nous guider, mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec le rejet, la souffrance et l’exclusion, l’angoisse du lendemain. »

Au contraire de nos adversaires, nous avons oublié notre histoire… Conçue dans la clandestinité par le Conseil National de la Résistance, - par des personnes qui, elles, connaissaient l’histoire de France -, pierre angulaire de l’Etat-social de droit né en 1945, la Sécurité sociale incarne une espérance portée par des luttes séculaires, c’est un rêve « fou » que l’on voit émerger avec les Sans-Culottes durant la Révolution Française, commencer à se concrétiser dans la Constitution de l’An II, dite « de Robespierre », et qui va cheminer durant tout le 19ème siècle avec un point d’orgue en 1848 et durant la Commune de Paris (1871).

Voilà donc l’héritage que nous avons à faire fructifier et transmettre aux générations futures, c’est d’une actualité brûlante.