mardi 10 mars 2009

Béghin-Sey casse du sucre sur le dos des salariés .

Nantes

Les 178 salariés de l’usine sucrière

ont généré 158 millions d’euros de chiffre d’affaires

en 2008. Leur site est menacé par la course au profit et aux aides européennes de leur propriétaire. Intransigeants sur l’unité syndicale, ils manifesteront les 13 et 19 mars.

Nantes (Loire-Atlantique),

envoyé spécial.

Au pied des tours de raffinage couleur bleu azur, au milieu d’un ballet incessant de semi-remorques, deux étudiants tendent timidement un tract aux ouvriers qui rentrent ou sortent de l’usine Béghin-Say de Nantes. En ce début d’après-midi de vendredi, ils sont venus « expliquer » qu’ils seront dans la rue le 19 mars « pour exiger le retrait de la loi SRU » et « encourager les salariés à poursuivre leur mouvement ».

« Des encouragements, on en a bien besoin », sourit Nicolas qui travaille depuis huit ans à la raffinerie. Pas tant pour les aider à se mobiliser - la quasi-totalité du personnel était en grève le 29 janvier -, mais surtout parce que, ici, « le mot d’ordre sur

la défense de l’emploi, c’est du concret ». Depuis le début de l’été dernier, les 178 salariés se battent contre le projet de fermeture du site. Soutenus par les agents portuaires et les dockers CGT qui déchargent un bateau de sucre brut par mois pour l’usine, appuyés par les élus communistes du conseil municipal et le maire socialiste, Jean-Marc Ayrault, ils ont obtenu de premiers reculs de la part du groupe Tereos, à qui appartient Béghin-Say. Il n’est plus aujourd’hui question de fermeture totale. Dans l’immédiat, l’activité de conditionnement du sucre et la centaine d’emplois qu’elle génère seront maintenues. Mais pour combien de temps ? La question est dans toutes les têtes. « Peut-on croire qu’une fois les 120 000 tonnes de sucre

de canne que nous raffinons chaque année transférées à Valladolid, en Espagne, le groupe va mettre en place une chaîne logistique pour faire venir du sucre du nord de la France afin de le conditionner ici ? Cette histoire du maintien du conditionnement, c’est de la poudre aux yeux. La direction a compris que son projet de fermeture totale risquait de susciter une bagarre d’enfer. Pour l’éviter, elle procède à une liquidation activité par activité. D’abord, le raffinage, après, le reste », explique Dominique, un autre ouvrier. L’analyse semble unanimement partagée dans l’usine. À la CFDT, le syndicat majoritaire, où on se mobilise pourtant pour le seul maintien du conditionnement, on semble ne pas trop y croire. « Le patron s’est engagé pour trois ans. Après ? On ne sait pas ! » constate son délégué syndical, Michel Faucheux. Et puis, il y a cet autre engagement de la - direction à réindustrialiser le site - - vis-à-vis duquel Patrick Lefebvre, élu CFDT au comité central d’entreprise, ne cache pas son scepticisme : « Entre la crise économique et la spécificité des installations du site, difficile de croire à cette promesse. »

Alors, pourquoi ne pas se battre pour le maintien du raffinage, comme le propose le délégué syndical CGT, Patrick Janin ? « Parce que cette activité n’est malheureusement plus viable. Entre la perte des aides européennes en raison du fait que la France a une production sucrière excédentaire et les marges arrière des supermarchés, le bénéfice du site a fondu. En délocalisant en Espagne, le groupe va continuer à percevoir les subsides de Bruxelles car ce pays consomme plus qu’il ne produit », soutient Patrick Lefebvre, avant de lâcher, un brin amer : « La concurrence libre et non faussée

devait faire baisser les prix, elle fait surtout baisser l’emploi. »

Aux arguments mis en avant par la direction pour justifier l’arrêt du raffinage, Patrick Janin en oppose d’autres : « Jusqu’en juin, la direction parlait de doubler la production du site. Il n’était alors question ni de Bruxelles ni de la grande distribution. » Et le syndicaliste d’attirer aussi l’attention sur le fait que « Tereos a réalisé 3,4 milliards de chiffre d’affaire en 2008 et plus de 80 millions d’euros de bénéfice. Le site de Nantes a généré 157 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 178 salariés. Si les betteraviers, qui sont propriétaires de Tereos, veulent délocaliser, c’est surtout pour maintenir leurs profits. » Convaincue que l’arrêt du raffinage, prévu le 31 juillet prochain, n’est pas inéluctable, la CGT appelle à une journée d’action le 13 mars et à poursuivre le 19 mars.

« Si on perd ce boulot, que va-t-on devenir ? Avec la crise, peu de chance d’en trouver un autre. Je ne vois pas d’autre solution que de se battre », explique Philippe, ouvrier au conditionnement. Comme Nicolas et Dominique, il dit sa « colère » contre les patrons qui licencient et ferment des usines. « Ces gens-là sont des criminels. Quand je vois qu’on fout dehors, comme des malpropres, des caissières de supermarché pour avoir utilisé des bons de réduction d’1,20 euro, alors que, dans le même temps, les patrons se goinfrent impunément de millions de dividendes et touchent des milliards de l’État, ça me donne envie de vomir », lâche-t-il. Dans la bouche de tous les salariés qui sortent de l’usine, des mots similaires expriment le refus de « l’injustice » et de « payer la crise à la place des patrons ». Tous affirment aussi qu’ils débrayeront le 13 et le 19. Tous souhaitent aussi que « l’unité syndicale se maintienne ». « On sent bien que la CFDT et la CGT ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Nous, ce qu’on veut, c’est se battre pour le maintien du raffinage et du conditionnement. L’un ne va pas sans l’autre. Et pour - gagner, il faut être tous ensemble », explique Nicolas.

À quelques centaines de mètres de l’usine Béghin-Say, dans les locaux de la CGT installée dans la maison des syndicats, c’est un peu un conseil de guerre des syndicats de l’agroalimentaire qui se tient. Patrick Janin est là, au milieu d’autres responsables de sections syndicales de LU, de BN, de Tipiac, d’Altadis, ou des retraités. Tous font le point sur l’actualité « des boîtes » et sur la préparation du 19 mars. Partout sont prévus des débrayages ou des grèves. La réunion est aussi l’occasion d’échanger sur l’état d’esprit des salariés et les raisons du succès du 29 janvier. Georges, délégué syndical chez BN, qui vient d’informer que la prime de 80 euros obtenue lors d’une récente mobilisation sera intégrée dans la grille, et donc pérennisée, souligne l’importance de la question salariale. Et « l’écho favorable de la revendication de la CGT d’une augmentation immédiate de 300 euros et du SMIC à 1 600 euros ». Il insiste sur le ras-le-bol accumulé par des salariés en voie de paupérisation. « La crise pousse aussi à se mobiliser », soutient Claude, d’Altadis. « Les salariés sont inquiets. Ils ont le sentiment d’être face à un mur. L’action collective apparaît comme le seul moyen de s’en sortir », poursuit Georges. Un regain de combativité perceptible dans la progression de la CGT qui, aux élections prud’homales, est devenue première force dans ce département historiquement dominé jusqu’à présent par la CFDT. Un regain de combativité qui a aussi pu s’exprimer grâce à l’unité syndicale et à la plate-forme revendicative qu’elle a permis d’adopter. « Les salariés sont très sensibles au fait que tous les syndicats parlent d’une même voie sur la crise. »

Si les syndicalistes se refusent à tout pronostic sur le niveau de mobilisation du 19 mars prochain, ils notent tous des signes plutôt positifs. « Le nombre de tracts que nous commandent les sections syndicales et les unions locales est un baromètre assez fiable de l’accueil que reçoit un appel à la mobilisation. À quinze jours du 19 mars, ce sont déjà 10 000 tracts supplémentaires qui nous sont demandés par rapport au total enregistré pour le 29 janvier », rapporte ainsi la - secrétaire de l’Union départementale CGT, Marie-Claude Robin. La syndicaliste estime aussi que le succès du 29 janvier « a donné confiance ». « Beaucoup ont été surpris de se retrouver si nombreux. C’est en soi un encouragement à poursuivre ».

Pierre-Henri Lab

l' Huma du 10 / 03 / 09

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