samedi 29 mai 2010

Retraite : la peur ?

La morgue et le mépris affichés vis-à-vis des manifestants de jeudi en disent long sur le trouble de l’exécutif.

Par Jean-Emmanuel Ducoin

Le sérieux d’un dirigeant naît toujours de sa rigueur à regarder le réel. Seulement voilà, en politique comme en toutes choses, il arrive souvent que l’excès de mauvaise foi devienne une nourriture, un excitant. Á ceux qui doutaient encore qu’une grande partie de la médiacratie rampante, adossée à la classe dirigeante, puisse tordre la réalité au gré de ses humeurs idéologiques en ont une preuve éclatante. Ainsi donc, de Libération au Figaro, la journée de mobilisation de jeudi serait, au mieux, un « demi-échec », au pire, un « revers pour les syndicats ». « Avantage Sarkozy », titre le premier. « Voici la fin de la retraite à 60 ans », écrit le second, fier d’annoncer que « les Français ont compris qu’on avait changé d’époque ». Les tentatives de manipulation de l’opinion n’ont décidément plus de bornes.

Un million de manifestants, selon les syndicats. Moitié moins, pour la police de Sarkozy. Et après ? Le vrai bilan est ailleurs et ce bilan-là fait peur au pouvoir, incapable, et pour cause, d’en nier l’authenticité : oui, il y avait plus de monde sur les pavés que le 23 mars dernier ! Rappelons que l’objectif affiché des syndicats était de « faire aussi bien que le 23 mars ». But dépassé. Du coup, une espèce de vent glacial a soufflé jeudi, en fin d’après-midi, sur l’Élysée et Matignon, tellement que François Fillon en personne, débordé par un accent de sincérité qu’il ne put réfréner tant les chiffres qui lui remontaient des préfectures lui donnaient l’exacte ampleur des cortèges, finit par déclarer : « On rentre dans le dur avec la mobilisation de jeudi. » Des mots qui auraient fâché le chef de l’État, réclamant à ses artilleurs lourds de reprendre la main. « Faible mobilisation », déclarait le pathétique porte-parole Luc Chatel. « Mobilisation très en dessous des souhaits des syndicats », reprenait l’ineffable secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand. Élevé au sommet du ridicule, ce dénis de réalité a ceci d’intéressant qu’il témoigne de l’intensité du trouble de l’exécutif.

Et si la peur commençait, progressivement, à changer de camp ? Et si la gigantesque entreprise de conditionnement mental des Français organisée par le gouvernement, avec en toile de fond une fausse concertation conduisant à détruire la retraite à soixante ans, était en train de se retourner contre ses promoteurs zélés ? Et si la panique organisée par tous les relais libéraux du pays, depuis la remise du rapport du COR, se transformait en un vaste débat citoyen, responsable, contradictoire et surtout alternatif, prenant peu à peu les traits de ce qui se passa avant le référendum sur le traité constitutionnel, en 2005, dont nous fêtons ce samedi le cinquième anniversaire du vote ? Rien n’est impossible en effet et les Français prennent conscience, chaque jour un peu plus, des dangers de la contre-réforme en cours et des possibilités crédibles d’autres pistes de financement. N’en déplaise à beaucoup, ce lent cheminement ne fait que débuter dans les entrailles du peuple. La bataille aussi. Nous ne battrons pas en retraite !

Car, Fillon le sait, les jeux ne sont pas faits. Le « flop » imaginé par les partisans de la résignation aux dogmes libéraux en dit long sur l’importance du dossier, « mère de toutes les batailles sociales » pour les uns, « réforme du quinquennat » pour l’autre. Bernard Thibault a raison : « Certains prennent des risques sur le climat social à venir. Ils seront au pied de certaines surprises prochainement. » La morgue et le mépris affichés contre les manifestants laisseront des traces. On ne raye pas d’un trait de plume un million de personnes dans les rues, niant non seulement leurs revendications mais jusqu’à leur existence ! Ce n’est pas seulement irresponsable, c’est aussi provoquer l’Histoire de la pire des manières.

site de l'Huma

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