Sécu . Numéro 1 du secteur des cliniques, Générale de santé a alimenté sa trésorerie pendant des années avec des millions d’euros versés à tort par l’assurance maladie. Enquête.
Depuis des années, singulièrement depuis la réforme Douste-Blazy de l’assurance maladie en 2004, le gouvernement donne à croire que les assurés sociaux, par leur comportement de « consommateurs » abusifs de soins mais aussi de fraudeurs, seraient amplement responsables de la crise de la Sécu. La chasse aux arrêts de travail « infondés » fait rage, les dispositifs de contrôle des assurés et des médecins se multiplient… La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) aurait-elle, dans le même temps, laissé de puissants intérêts privés détourner impunément plusieurs millions d’euros de ses caisses ? L’accusation est lancée et nourrie, dossier à l’appui, depuis plusieurs mois, par un ancien cadre de Générale de santé, numéro 1 des cliniques privées. Pendant quatorze ans, Slim Ghedamsi a occupé les fonctions d’auditeur financier interne au sein du groupe. Jusqu’à son licenciement « pour faute grave » (objet d’un contentieux aux prud’hommes) après qu’il a levé le lièvre.
une « usine à gaz montée pour servir le privé »
Tout commence en 2001 lors de la réunion d’un comité du ministère de la Santé où il alerte sur un énorme dysfonctionnement des systèmes informatiques de la CNAM. La caisse d’assurance maladie vient de mettre en place un nouveau mode de transmission des facturations et des paiements des soins entre elle et les cliniques. Une véritable « usine à gaz montée pour servir le privé », selon notre témoin. En pratique, de nouvelles caisses centralisées de la Sécu, dites caisses pivots, règlent automatiquement, dans un délai de quatre jours et après un contrôle réduit au minimum, les factures télétransmises des établissements. Problème : parallèlement, les caisses primaires continuent à régler les factures papier, correspondant aux mêmes prestations. Les cliniques encaissent donc deux fois (parfois trois) le paiement des mêmes factures. En 2003, selon Slim Ghedamsi, cette manne inespérée atteint la bagatelle de 24 millions d’euros. Et les cliniques, qui tiennent une comptabilité précise, au centime près, de ces trop-perçus, ne se pressent pas pour rembourser. Pour le groupe, coté en Bourse, et donc soucieux de plaire à ses investisseurs, c’est l’occasion, grâce à ce surcroît de trésorerie, d’améliorer la présentation de ses comptes, note l’ancien cadre financier. Dans cette optique, les établissements reçoivent de la direction financière de Générale de santé la consigne de classer en « produits », autrement dit en bénéfices, les doubles paiements non réclamés au bout de deux ans. Un document financier interne, établi fin 2006, fait apparaître dans la colonne profits quelque 3,7 millions d’euros de versements indus de l’assurance maladie.
Aujourd’hui, le bug informatique a été résorbé. Mais à combien, au total, s’élève le montant des sommes ainsi versées à tort à Générale de santé et, au-delà, à l’ensemble des établissements privés ? Combien a été, à ce jour, remboursé ? Dans quel délai ? Une partie de ces indus a-t-elle pu rester définitivement dans les trésoreries des cliniques ? Dans des articles du Canard enchaîné (14 février dernier) et du Parisien (13 novembre), qui ont commencé à soulevé l’affaire, le directeur financier de la Générale de santé reconnaît « un montant total de doubles paiements dans nos comptes », à la date de 2003, de 4,3 millions d’euros. Et minimise le problème en affirmant que, dans l’autre sens, le bug aurait généré des dettes de l’assurance maladie envers l’entreprise (sans évoquer toutefois, à ce propos, de somme précise). Aujourd’hui, « pour nous, ce n’est plus un sujet, le problème a été réglé », assure-t-on au service communication du groupe, sans pouvoir fournir de chiffres précis sur le total des trop-perçus encaissés depuis le début du dysfonctionnement, ni sur le total des remboursements.
« la transparence sur la gestion des deniers publics »
Même ton délibérément rassurant du côté de l’assurance maladie. Le mois dernier, le directeur de la répression des fraudes de la Sécu estimait à 10 millions d’euros « le montant total des doubles paiements effectués par erreur », et à 1 million l’argent restant à récupérer. Un solde réduit aujourd’hui à 478 000 euros, dit-on à la CNAM où l’on proclame : « Pour nous, l’affaire est soldée. Ça a été un bug, le bug a été réparé. Récupérer les paiements a été un peu long. Ne restent que des sommes en litige. Les procédures tirent à leur fin. » Un fait, néanmoins, semble acquis : les établissements de la Générale de santé ont pu alimenter pendant plusieurs années leur trésorerie avec des fonds qu’ils auraient dû rembourser sans tarder à l’assurance maladie. À titre d’exemple, dans un document, le responsable financier d’une clinique s’étonne ainsi que la Sécu lui réclame des trop-perçus (86 000 euros) quatre ans après, et alors que, précise-t-il, ces sommes, « selon la procédure appliquée par Générale de santé, ont été imputées dans les comptes de la clinique en profit »…
Pour Slim Ghedamsi, résolu à se « battre jusqu’au bout », le seul moyen désormais de dissiper les zones d’ombre, les soupçons de détournement, serait « que les pouvoirs publics interviennent pour contrôler les comptabilités des cliniques » du groupe. À l’appui de sa démarche, afin d’obtenir « la transparence sur la gestion des deniers publics », une association d’assurés, l’UFAL (Union des familles laïques), a demandé à la Cour des comptes de s’emparer du dossier.
Yves Housson
l' Huma du 13 / 12 / 07
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