vendredi 14 décembre 2007

Au bon beurre .

Editorial par Maurice Ulrich

Elle a eu le beurre, l’argent du beurre, les intérêts tirés du beurre et elle se fait tirer l’oreille pour rendre à la crémière ce qui lui est dû, cette dernière n’étant autre que la Sécurité sociale. Par le mystère inattendu d’un bug informatique, la Générale de santé, premier groupe privé de cliniques en France, se voit rembourser deux fois, voire trois fois ses factures. Ce pourrait n’être qu’un incident, vite signalé, vite corrigé. Ce que fait en général un citoyen ordinaire qui se voit rembourser deux fois la même dépense, virer deux fois son salaire et autres fausses bonnes surprises. La tentation est grande mais la prudence est de règle. À la Générale de santé on raisonne autrement. Par ici la monnaie. Non seulement les dirigeants du groupe ont compris ce qui se passe et ne disent rien mais ils font travailler l’argent. Le directeur financier, dans une note de 2003, recommande même aux cliniques d’inscrire dans la colonne « produits » les doubles ou triples remboursements, soit des profits purs et simples.

Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. La Cour des comptes est saisie. Elle ne s’est pas encore prononcée. La justice serait plus prompte s’il s’agissait d’un vol de portefeuille. Et c’est le haut cadre de la Générale qui a levé le lièvre, lequel mérite un très grand respect, qui a été licencié pour faute grave et qui se bat aux prud’hommes. La pilule passe mal au moment où la chasse au gaspi est ouverte à la Sécu, où l’on traque l’arrêt de travail, le médicament de confort.

A-t-on mis le même zèle à obtenir le remboursement des sommes dues ? Mais surtout la morale qui saux particuliers ne semble guère s’appliquer de la même manière à la Générale. Est-on sûrs du reste qu’elle est la seule concernée ? Qui peut jurer aujourd’hui que le bug informatique s’est limité à elle ? Il est étrange au fond qu’il n’y ait que la Cour des comptes de saisie. La justice n’a-t-elle pas à y regarder de plus près ?

Selon que vous serez puissant ou misérable… La Sécu est en danger, le déficit grandit, il faut se serrer la ceinture, entend-on répéter. Médicaments non remboursés, augmentation des forfaits hospitaliers, mise en place des franchises médicales. Toute la pression est concentrée sur les personnes et les malades avec pour conséquence que les plus malades paieront plus. Quels efforts consentent les grands groupes pharmaceutiques, les groupes comme la Générale ? Un seul chiffre. Les franchises mises en place dès janvier rapporteront pour l’année à venir 850 millions d’euros. À la fin de cette année, la Générale va verser 420 millions d’euros à ses actionnaires. Combien de millions vont verser à leurs actionnaires les autres groupes de cliniques, les grands de la pharmacie. Curieusement, les résultats d’un sondage de l’IFOP réalisé en octobre pour les Échos et le Quotidien du médecin ont peu circulé. Sans doute parce que, selon la majorité des Français interrogés, l’aggravation des déficits et l’augmentation du coût de la santé devraient être supportés par les industriels du médicament par le biais d’une hausse des taxes et d’une baisse des prix ainsi que par les ménages les plus aisés en modulant les remboursements.

Que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche. Que le public ignore à quel pont le privé est favorisé. La place prise en France par les établissements privés est désormais énorme. Au Havre, pour ne prendre qu’un exemple, 500 suppressions d’emplois sont prévues dans l’hospitalisation publique. Un bel hôpital privé va ouvrir. L’égalisation des tarifs entre le public et le privé favorise ce dernier qui ne supporte pas les coûts des urgences et autres contraintes mais se réserve la crème

et la clientèle qui rapporte. On assiste à un basculement vers le privé du système de soins français. Si on n’y met pas le holà, ça va coûter très cher.

l' Huma du 13 / 12 / 07

Aucun commentaire: