samedi 23 février 2008

Anatomie d'un pillage magistral .

En quelques années, un patron a fait son beurre en rachetant pour une bouchée de pain des entreprises en liquidation et en récupérant trois cent milles euros de fonds publics.

Envoyés spéciaux

En 2002, dans le cadre de la fusion avec Usinor et Aceralia qui donnera naissance au géant Arcelor, le sidérurgiste luxembourgeois Arbed se débarrasse de ses petites unités comme Lenoir-et-Mernier à Bogny-sur-Meuse. C’est le début de la funeste épopée de Philippe Jarlot, ex-commercial d’une des boulonneries qu’il finira par racheter. À chaque étape, c’est le même scénario : le patron n’a pas de capital mais il a constitué un holding avec deux partenaires, il verse des clopinettes dans le cadre des liquidations judiciaires, et il utilise les stocks de métal ou le parc de machines pour financer les « investissements » suivants. Il obtient Lenoir-et-Mernier pour 40 000 euros, Gérard-Bertrand pour 40 000 euros (après avoir mis la main sur les stocks et démoli les machines pour les vendre à la ferraille, il revendra les bâtiments vides pour 150 000 euros), Dauvin pour quelques milliers d’euros, Jayot pour 8 000 euros, FAV-LCAB pour 25 000 euros… « Au moment du rachat, on avait 300 à 400 tonnes d’acier, des stocks de pièces prêtes pour aller chez les clients, se souvient Jean-Luc Thirion, ancien chef de production et de maintenance à FAV-LCAB. On peut évaluer en plus le parc des machines à 1 million d’euros. Jarlot a obtenu tout ça pour quelques milliers d’euros ! »

Devant le personnel, Pascal Masséna, un ancien associé de Philippe Jarlot, a indiqué que les rebuts et les déchets de métal étaient vendus au noir pour un montant mensuel de 10 000 à 15 000 euros à un ferrailleur du coin. « C’était extraordinaire, on était une entreprise de la métallurgie mais, contrairement aux autres, on n’avait jamais de ressources qui revenaient de la vente des déchets », s’étrangle un des ouvriers de Lenoir-et-Mernier. À l’occasion d’un des derniers comités d’entreprise, en décembre 2007, Claude Choquet, délégué CFDT, demande où est passé l’argent des rebuts, mais on lui rétorque qu’« aucune évaluation n’a jamais été effectuée ».

Mais ça n’est pas tout. Les salariés apprennent que, rémunéré en tant que commercial sur la base du chiffre d’affaires et non sur le profit dégagé, Philippe Jarlot, qui a déjà fait passer son salaire mensuel de 7 000 à 10 000 euros malgré les difficultés de trésorerie, vend à perte les pièces produites dans ses usines. « C’était un très bon commercial, mais comme patron, c’est autre chose…, raille Jean-Luc Thirion, qui le tutoyait à la belle époque. Ces ventes à perte, c’était nous foutre dans le mur. Sur certaines pièces, avec des séries de 20 000 par mois, on vendait à 50 centimes sous le coût par unité. On disait à Jarlot d’arrêter de vendre à ces prix-là, de filer des chèques à nos clients tant qu’il y était, et lui, il rétorquait qu’il fallait contenter le client. C’est sûr qu’à ces prix-là, le client était content : on lui vendait des pièces en dessous du prix du métal qui avait servi à les fabriquer ! » Et pendant ces manoeuvres, le patron du holding spécialisé dans les boulonneries en liquidation trouve le temps de créer une société civile immobilière (la SCI de la Vallée de la Meuse) pour y transférer les bâtiments de ses usines et les préserver ainsi en cas de liquidation judiciaire.

Dans la dernière entreprise qu’il a rachetée, l’usine Jayot (un site périphérique de Thomé-Génot), Philippe Jarlot n’a jamais respecté ses engagements. « Ils ont touché des fonds publics et, pendant quelques mois, entre la reprise en décembre 2006 et le dépôt de bilan en mai 2007, on a écoulé les stocks, raconte Linda Polito. Ils n’ont rien investi, contrairement aux promesses. Au départ, Jarlot a touché 200 000 euros du conseil général et 100 000 de plus le 30 mars contre l’embauche d’une salariée supplémentaire. Nous sommes passés de 7 à 8 salariés, loin des trente promesses d’embauches. Mais début mai, c’était le dépôt de bilan, c’était fini. Le patron a utilisé l’argent public pour combler le gouffre ailleurs. C’est écoeurant… »

T. L.

l' Huma du 22 / 02 / 08

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