AUTOMOBILE . Pour Christian Pilichowski, de la CGT métallurgie, qui vient de rencontrer les salariés de Dacia, les convergences dans les luttes créent une dynamique pour l’Europe sociale.
Champions des délocalisations, les constructeurs automobiles sont aujourd’hui confrontés à la montée des revendications dans plusieurs sites d’Europe de l’Est. Et alors que la mise en concurrence fait place à la solidarité, la Confédération européenne des syndicats lance l’offensive sur les salaires en appelant à une manifestation européenne le 5 avril. Fer de lance de cette contestation, l’usine Dacia rachetée par Renault en Roumanie pour fabriquer la Logan dont le succès commercial tire aujourd’hui les ventes du groupe. La lutte des salariés de Pitesti- Mioveni, en grève depuis une semaine, a fait naître un élan de solidarité chez Renault et dans l’ensemble du secteur automobile. Une délégation de la CGT s’est rendue sur place.
Vous revenez de Rouma- nie, où vous avez apporté la solidarité de la fédération de la métallurgie CGT aux salariés de Dacia en grève. Que représente pour votre syndicat cette lutte des salariés roumains du groupe Renault ?
Christian Pilichowski. Quelque chose d’extrêmement important. D’abord parce que l’heure est à l’augmentation des salaires partout en Europe. Depuis trop longtemps les gains de productivité sont accaparés uniquement et complètement par le capital. Aujourd’hui, la question de la répartition des richesses se pose en France, en Allemagne où les sidérurgistes ont obtenu d’importantes augmentations de salaires (un peu plus de 5%) et, on le voit avec cette grève, en Roumanie. Ensuite ce conflit fait apparaître clairement l’enjeu que représente la construction de l’Europe sociale. La première réaction de Renault face à la grève largement majoritaire de Dacia a été d’intervenir auprès du tribunal pour la déclarer illégale. Ce qui a été refusé, à ce jour, par la justice roumaine.
Ce n’est pas seulement sur les salaires que Renault fait pression, c’est aussi sur les droits sociaux…
Christian Pilichowski. Renault a signé avec la Fédération internationale des organisations de la métallurgie un accord- cadre sur le respect des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT). Parmi celles-ci, il y a par exemple le droit à la négociation collective. Or les salariés de Dacia sont encore en grève aujourd’hui parce que Renault refuse d’ouvrir des négociations. Les multinationales sont les vecteurs de ce type de mondialisation contre lequel en France, en Roumanie et ailleurs les salariés se battent. Le rôle d’un groupe comme Renault devrait être au contraire de respecter les droits sociaux fondamentaux, partout où il est implanté.
Comment les salariés roumains perçoivent-ils l’intérêt des salariés français pour leur lutte ?
Christian Pilichowski. Leur première réaction a été extrêmement chaleureuse, enthousiaste même. Depuis plusieurs années, à la fédération de la métallurgie CGT, mais aussi dans toute la CGT, nous travaillons à la construction de nouvelles solidarités internationales. Au-delà des mots nous avons voulu saisir cette occasion pour donner un aspect concret à notre soutien et pour croiser les luttes en France et en Roumanie. Avec cette solidarité est apparu le besoin de travailler ensemble pour résister au chantage à la délocalisation que le groupe Renault commence à faire en Roumanie. Il menace, si les salaires augmentent, de délocaliser en Inde, en Russie ou au Maroc, où une usine est en cours de construction. Or, si les salaires et le pouvoir d’achat augmentent en Roumanie, le marché roumain sera à même d’absorber davantage de production locale. Non seulement l’augmentation des salaires ne va pas pousser à la délocalisation mais elle va entraîner une augmentation de la demande. C’est ce dont nous avons débattu avec les salariés roumains.
La production de la Logan en Roumanie avait pour ob- jectif de développer un marché dans les pays de l’Est…
Christian Pilichowski. S’il n’y a pas de pouvoir d’achat suffisant dans les pays de l’Est, il n’y aura pas de marché, même pour ce type d’automobile. Continuera-t-on à fabriquer des voitures low-cost ? En tout cas les salaires low-cost, c’est fini. Ce conflit marque une rupture. Et en cela il a une dimension symbolique. La Logan se vend extrêmement bien pour deux raisons. La première, parce que c’est un véhicule de qualité qui témoigne du haut niveau de qualification des salariés roumains. D’ailleurs la productivité a augmenté de manière fantastique chez Dacia. Donc la lutte pour se faire payer cette qualification par l’augmentation des salaires est juste. La deuxième explication du succès est liée à la question de pouvoir d’achat en France. Si les travailleurs disposaient d’un pouvoir d’achat supérieur, ils achèteraient plutôt des véhicules de catégorie supérieure. On en revient aux nécessaires solidarités pour l’augmentation des salaires en France et en Roumanie.
La menace de délocalisation n’est-elle pas réelle ?
Christian Pilichowski. Il n’y aura pas de délocalisation. C’est ce dont on a débattu au regard de nos expériences et de telle sorte que cela renforce à la fois leur expérience et leur lutte. Le taux de profit sur la Logan est tel que même en doublant les salaires des ouvriers Roumains « la profitabilité » du site ne sera pas atteinte.
Et la qualification des sala- riés ne se délocalise pas…
Christian Pilichowski. En effet. En reprenant Dacia, Renault a investi pour en faire une usine tout à fait comparable à celles que l’on peut trouver dans les pays occidentaux. Sur cet outil de production moderne les salariés qui étaient déjà très qualifiés – la plupart travaillaient dans l’usine avant l’arrivée de Renault – ont enrichi leur qualification.
Quels pourraient être les échos de cette lutte ?
Christian Pilichowski. Il faut voir cela dans un mouvement d’ensemble. Il y a de nombreuses luttes pour les salaires en France, en Allemagne, dans beaucoup de pays d’Europe. Elles ne sont pas déconnectées de l’appel à une manifestation européenne le 5 avril, à Ljubljana, en Slovénie, pour l’augmentation des salaires. C’est la première fois que la Confédération européenne des syndicats (CES) appelle à une manifestation offensive, revendicative. Jusqu’à présent, c’était plutôt défensif, par exemple contre la directive Bolkestein. Aujourd’hui, émerge un syndicalisme européen de plus en plus en phase avec les attentes et les aspirations des salariés. Des convergences peuvent donc se créer. D’ailleurs la CGT du groupe Renault sera présente au sein de la délégation que la fédération de la métallurgie enverra. Cette dynamique est une bonne nouvelle pour les salariés français, pour les salariés allemands ou roumains. L’Europe sociale pour laquelle on se bat depuis longtemps peut prendre forme dans les luttes.
Entretien réalisé par Jacqueline Sellem
l' Huma du 31 / 03 / 08
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