Représentativité . Pour la première fois depuis l’après-guerre, les conditions de représentation et de négociation qui organisent le syndicalisme ne devraient pas favoriser son éparpillement.
Quel que soit, au final, le contenu de la réforme sur la représentativité syndicale, le « mal » pour certains,
le « bien » pour d’autres est fait. Même si les parlementaires retouchent la « position commune » issue de la négociation entre le patronat et les syndicats, il n’est sans doute plus possible de faire machine arrière sur l’essentiel. La panne du dialogue social en France amène aujourd’hui une situation qui inquiète jusque dans les rangs du patronat et du gouvernement. La crise du CPE en 2006 est venue rappeler qu’il n’est pas bon de passer en force. Dans les entreprises, l’existence de délégués syndicaux qui ne représentent qu’eux-mêmes mais peuvent signer des accords sociaux qui s’appliquent à tous, sape la crédibilité même du dialogue social et de ses acteurs. Même les syndicats les plus rétifs aux changements reconnaissent que le statu quo n’est plus possible. Tous ont compris que la mise en place d’un système qui repose plus franchement sur l’expression des salariés va provoquer des recompositions. Une révolution est en marche dont nul ne mesure réellement les conséquences.
La « position commune » arrêtée le 9 avril entre les « partenaires sociaux » est finalement soutenue, côté syndical, par les seules CGT et CFDT, celles qui sans aucun doute ont le plus à y gagner. De par leur poids respectif, ni l’une ni l’autre n’a de problème, sauf exception, pour atteindre la barre fatidique des 10 % dans les entreprises, 8 % dans les branches et au niveau interprofessionnel, seuils qui permettent d’obtenir la représentativité, donc de négocier des accords au nom des salariés. De plus, la « position commune » fait un pas notoire en direction des accords majoritaires en instaurant une validation basée sur la signature des organisations qui pèsent au moins 30 % des voix. « Il s’agit d’une vraie rupture car il ne serait plus possible pour le patronat de contourner l’influence des principaux syndicats », se réjouissait le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, le 16 avril dernier. Les autres syndicats accusent la CGT et la CFDT, qui portaient des propositions en commun depuis 2006, d’avoir cherché à provoquer une recomposition autour d’elles. « Ce n’est pas du tout notre démarche », affirme Michel Doneddu, secrétaire confédéral en charge du dossier à la CGT. « À coup sûr le paysage syndical évoluera. Mais la CGT n’a pas de velléité de le restructurer ou le refonder », assure Bernard Thibault.
Tout le monde ne pense pas ainsi. La commission exécutive de FO, dans son communiqué du 17 avril, n’a pas hésité à parler de « découpage électoral ». Pour Alain Olive, secrétaire général de l’UNSA, qui ne bénéficie pas de la présomption de représentativité, « la position commune favorise une bipolarisation syndicale ». Annick Coupé, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, également non représentatif, pense aussi que la position commune « force la main à une recomposition syndicale ». Pour elle, les nouveaux critères « nous laissent entrer dans le système au plan local. On pourra s’implanter plus facilement dans les entreprises. Mais il nous ferme la porte de la représentativité interprofessionnelle ». Les « non-représentatifs » d’aujourd’hui ne vont pas le devenir. Et certains, qui le sont, ont vite calculé qu’ils risquent de perdre ce privilège (et les moyens qui vont avec). De ce fait, Jean-Marie Pernot, chercheur à l’IRES et spécialiste des syndicats, prédit que « dans dix ans, le paysage syndical aura profondément changé » (1).
La « position commune » acte d’une période transitoire de cinq ans au plus, ce qui préserve les intérêts de tous, le temps pour chacun d’anticiper les conséquences d’une mise en oeuvre de la réforme. Loin d’attendre de voir à quelle sauce elle allait être mangée, l’UNSA a préféré prendre l’initiative. Le 17 avril, cette union de syndicats autonomes officialisait son intention de fusionner avec la CFE-CGC, confédération des cadres qui a réussi à arracher le maintien, « pour une durée indéterminée », de sa représentativité à travers la reconnaissance de sa spécificité.
Militante d’une réforme des règles de démocratie sociale, l’UNSA bataillait pour le maintien d’une représentativité descendante (une fois obtenue au niveau national, un syndicat l’est automatiquement dans les branches et les entreprises), décidée sur la base d’un score de 5 % aux élections prud’homales. Elle a perdu sur tous les terrains, la « position commune » prenant le parti des élections dans les entreprises, d’un seuil de 10 % et de l’autonomie des niveaux. L’UNSA a vite fait ses comptes : « Pour nous, le choix, c’est disparaître ou disparaître », s’insurge Jean Grosset, secrétaire général adjoint. Les dirigeants ont donc fait le tour de certaines organisations pour tester sa proposition de « rassembler les syndicats réformistes ». L’idée, qui avait déjà été discutée en 1998 entre l’UNSA, la CFE-CGC, la CFDT et certains démissionnaires de FO, était restée sans suite. Cette fois-ci, la CFE-CGC a donné son accord pour engager un processus de fusion. « Nous voulons proposer une nouvelle offre syndicale, occuper l’espace entre la CFDT et la CGT en érigeant un nouveau pilier réformiste, contestataire quand il le faut mais qui signe des accords », explique Jean Grosset. Au passage, le mariage donnerait à l’UNSA l’assurance d’obtenir une représentativité interprofessionnelle.
La rapidité de l’annonce n’a pas manqué de susciter des sarcasmes, FO ou la CGT dénonçant des « logiques d’appareil ». Annick Coupé va même jusqu’à parler de « recomposition alimentaire ». Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, pointe le risque que la situation ne « pousse à des regroupements artificiels, non fondés sur du sens commun et des valeurs partagées ». La CFTC, qui a conscience d’avoir beaucoup à perdre, fut soupçonnée d’être dans le deal, ce que dément catégoriquement son président, Jacques Voisin. Philippe Louis, trésorier du syndicat et en charge du dossier, convient que « les cartes vont être redistribuées », mais que « l’évolution se fera au rythme des salariés ». « Nous nous sentons plus proches du camp réformiste, qui négocie de bonnes régulations pour les salariés, que du camp réformateur de la CFDT, qui accompagne de mauvaises réformes », confie un des cadres de la confédération.
Le problème, c’est que toute initiative de l’un rejaillit sur les autres. Un rassemblement des syndicats qui se disent « réformistes » pourrait couper l’herbe sous le pied du « réformisme militant » porté par FO depuis son dernier congrès. Pas menacée dans sa représentativité, FO l’est dans son identité et dans la place qu’elle occupe. Dans les années qui viennent, à la faveur de regroupements, FO pourrait devenir « le petit de la bande ». L’isolement guette aussi Solidaires, qui pourrait se retrouver seule non représentative au niveau national. Même s’ils sont très différents, Solidaires et l’UNSA avaient pris l’habitude de batailler ensemble pour faire reconnaître leur représentativité et tenter de s’inviter dans les intersyndicales. Quant à la FSU, si elle est peu concernée par une réforme des règles du secteur privé, elle ne pourra pas être épargnée par une recomposition syndicale. « Nous n’avons pas la prétention de devenir une organisation interprofessionnelle. Nous syndiquons dans un domaine particulier, celui de la fonction publique. Mais la question de notre avenir est posée et sera de nouveau débattue à notre prochain congrès », en janvier 2010. Cette organisation qui, comme la CGT conteste la césure entre réformisme et contestataire, est secouée depuis plusieurs années par un débat sur sa place dans le paysage syndical. Une majorité de ses militants veulent rester une fédération qui syndique principalement les enseignants, d’autres préconisent la constitution en confédération (option que la réforme devrait rendre improbable), d’autres enfin défendent l’idée de l’affiliation à la CGT. Le site du SNES-FSU publie par exemple une contribution, datée du 6 avril, du secrétaire général et de son adjoint de la section de l’Oise plaidant pour que la FSU affirme son intention de « travailler à l’unification syndicale » en proposant un rapprochement « avec tous ceux qui voudraient vraiment en être mais aussi avec la confédération qui est la plus proche de nous, dont nous partageons la quasi-totalité des valeurs et une bonne partie de notre histoire : la CGT, sans laquelle un tel projet n’a aucun sens ».
(1) Jean-Marie Pernot vient de publier, avec Guy Groux, la Grève, dans la collection « Contester »,
aux Éditions Sciences PO Presse (10 euros).
Paule Masson
l' Huma du 28 / 04 / 08
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