jeudi 1 mai 2008

Avec ces étrangers « morts pour la France »

Étape symbolique de la marche des sans-papiers : le cimetière de Notre-Dame-de-Lorette.

Envoyée spéciale.

Une rumeur s’approche peu à peu. Elle se fait de plus en plus audible. Du haut de la colline où trône la nécropole Notre-Dame-de-Lorette, on distingue un point rouge. En toile de fond, les terrils ressemblent à des fourmilières. D’un simple coup d’oeil, on balaye un paysage marqué par l’histoire minière. La guerre non plus n’est pas loin. Ce samedi 26 avril, les sans-papiers ont choisi de rendre hommage aux tirailleurs morts pour la France. À quelques pas de l’entrée du cimetière, le groupe de marcheurs continue à chanter : « Combattants de la liberté, nos parents étaient des sans-papiers… Comme les tirailleurs marocains, comme Manouchian l’Arménien, comme les résistants du Vercors… On a sauvé la France. » Béret bleu vissé sur la tête et costume assorti, les gardes d’honneur observent la scène. Ils guideront les marcheurs vers le carré musulman, dont les tombes ont été profanées il y a quelques semaines.

Accompagnés par une poignée de sympathisants du collectif, syndicalistes et militants, les sans-papiers ont rangé pancartes et banderoles, le temps du recueillement. « Benatou Pen Zihen, mort pour la France le 26-1-15 », « Larbi Ben Matti, soldat 1er BTM, mort pour la France, le 30-5-15 »… Devant les tombes, les sans-papiers ont observé une minute de silence. Salim, un des porte-parole de la marche, a lancé quelques mots : « Nous sommes ici pour rendre hommage aux grands-parents et aux parents tombés pour la liberté de la France. Nous sommes aussi là pour défendre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. » Pour Youssef, second porte-parole, « Nicolas Sarkozy veut expulser les étrangers, et pourtant les sans-papiers enterrés ici sont morts pour la France. Il ne devrait pas l’oublier. »

Silencieux, émus, les marcheurs ont quitté le cimetière, retrouvé leurs pancartes et donné une conférence de presse. Alain Pruvost, délégué régional de la Ligue des droits de l’homme, a rappelé le double discours du gouvernement : « Avant-hier, le représentant de l’État, en la personne de Jean-Marie Bockel, chargé des Anciens Combattants, dénonçait ici même, lui aussi, à l’occasion des cérémonies du 90e anniversaire de la Grande Guerre, une manifestation d’islamophobie (à propos des tombes profanées). Certes ! Mais n’est-il pas temps de cesser de tenir un double langage quand toute la politique menée au plus haut sommet de l’État encourage la chasse aux “clandestins” assimilés à des délinquants potentiels (…) ? Où est passée la France des droits de l’homme, celle que nous aimons, celle qui fit l’admiration du monde entier pour ses valeurs et ses idéaux républicains ? » Et d’ajouter : « Belle leçon de citoyenneté en vérité que votre présence ici, à Notre-Dame-de-Lorette, vous qui êtes victimes du racisme et de la xénophobie, victimes de la répression gouvernementale, alors que vous contribuez à nous enrichir, vous dont les ancêtres sont allés parfois jusqu’au sacrifice suprême, celui de leur vie, pour défendre notre pays et ses valeurs. »

Les sans-papiers arriveront le samedi 10 mai à Paris, journée de - commémoration de l’esclavage et anniversaire de l’expulsion de l’église Saint-Ambroise. Le CSP 59 propose qu’une manifestation unitaire du 10 mai soit dédiée « à la mémoire de feu Aimé Césaire, combattant émérite de la cause des esclaves, des colonisés, de l’antiracisme et pour l’égalité entre les humains et les peuples ».

I.D.

l' Huma du 30 / 04 / 08

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