mercredi 16 juillet 2008

Luc Guyau « Toute nouvelle concession sur l’agriculture serait inacceptable »

Présidence française . Luc Guyau, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, livre son sentiment à la veille du conseil agricole européen.

Le ministre de l’Agriculture Michel Barnier préside aujourd’hui son premier conseil agricole européen. Qu’en attendez-vous ?

Luc Guyau (1). La présidence française doit reprendre l’examen du bilan de santé de la politique agricole commune (PAC) en partant des propositions faites par la Commission. Selon mes informations, les quatre premiers mois de la présidence française seront centrés sur l’échange entre les ministres des 27 afin d’examiner les marges de manoeuvre dont ils disposent dans le cadre du « bilan de santé » de la réforme de 2003 proposé par la Commission. Le ministre cherchera ensuite les contours d’un compromis par des échanges bilatéraux. Puis un conseil devrait avoir lieu en novembre pour procéder aux derniers ajustements. D’ici là, les 27 auraient intérêt à raisonner à échéance de dix à quinze ans plutôt que de s’en tenir au seul horizon de 2013. La présidence française ne permettra pas de régler tous les problèmes. Mais je souhaite vivement qu’elle impluse une véritable réflexion sur l’avenir de l’agriculture en Europe.

Une trentaine de pays vont réunir leurs négociateurs à Genève autour du directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 21 juillet pour tenter de boucler le cycle de négociation entamé en 2001 à Doha. L’Europe a déjà beaucoup cédé sur les dossiers agricoles sans obtenir de contreparties en faveur de l’industrie et des services. Que pensez-vous de cette utilisation de l’agriculture comme monnaie d’échange ?

Luc Guyau. Le système de discussion et les critères de la négociation en cours à l’OMC ne sont pas compatibles avec les missions que l’Europe exige de l’agriculture. Tout se passe comme s’il fallait conclure le cycle de Doha quel qu’en soit le prix pour l’agriculture européenne alors que le contexte a beaucoup changé depuis 2001. À l’époque, on nous disait que nous avions trop de viande, de lait, de céréales. On voit aujourd’hui à quel point ces arguments étaient fallacieux. La logique voudrait que l’on discute à l’OMC en intégrant cette nouvelle donne induite par la réduction des stocks agricoles au niveau mondial et la volatilité des cours que cela provoque. Or, à l’OMC on continue de discuter en occultant ces éléments nouveaux. Je trouverais inacceptable toute nouvelle concession de l’Union européenne. Pour les produits sensibles comme la viande, le lait, les fruits et légumes, de faibles volumes d’importation suffisent parfois pour déstabiliser les cours sur le marché intérieur et pour ruiner les agriculteurs. Voilà pourquoi il faut garder des protections douanières aux frontières de l’Europe.

Dans les années qui ont précédé l’emballement des cours des céréales et des oléagineux en 2007, vous avez publié de nombreuses « tribunes » dans différents journaux - dont l’Humanité - pour souligner que la question de l’approvisionnement des peuples en produits alimentaires n’était jamais réglée une fois pour toutes et qu’il fallait des politiques agricoles assorties d’outils de régulation. Avez-vous le sentiment que ce discours est mieux compris aujourd’hui ?

Luc Guyau. Quand j’étais un jeune éleveur, des économistes libéraux prétendaient déjà que nous n’avions pas besoin de produire de la viande bovine puisque l’Argentine pouvait nous en fournir à moindre coût. Puis est arrivée la guerre des Malouines, en 1982, et l’Argentine a stoppé ses exportations de viande vers l’Europe. Récemment, je recevais un producteur de lait néo-zélandais. Son pays exporte 97 % de sa production laitière et cet éleveur me disait que les livraisons de lait chutent considérablement en raison d’une sécheresse persistante. Ces deux exemples montrent que l’on ne saurait trop dépendre des importations. Les consommateurs ont fortement réintégré cette notion depuis un an en observant des hausses de prix provoquées par une raréfaction de certains produits. Mais il reste du chemin à faire pour que les grandes institutions comme la Banque mondiale et le FMI soient au diapason des nouveaux enjeux alimentaires même si elles ont un peu bougé ces derniers mois. Aujourd’hui, l’attitude la plus déconnectée des réalités s’observe chez les négociateurs de l’OMC et chez son directeur général, Pascal Lamy. J’ai parfois l’impression qu’il veut que son mandat s’achève à tout prix par un accord qui conclurait le cycle de Doha, quel que soit le contenu de cet accord. Je trouve cela inacceptable.

La controverse grandit aujourd’hui sur les agrocarburants. Est-il possible de concilier leur développement avec la mission première de l’agriculture qui est de nourrir les hommes ?

Luc Guyau. De tout temps, l’agriculture a autoproduit de l’énergie, qu’il s’agisse du bois de chauffage ou de la nourriture des animaux de trait. C’est légitime. En théorie, les réserves de terres non cultivées dans de nombreux pays permettent la production d’agrocarburants. Mais, là aussi, il faut de la régulation.

(1) Producteur de lait en Vendée,

Luc Guyau a également été président du CNJA, puis de la FNSEA.

Entretien réalisé par Gérard Le Puill

l' Huma du 15 / 07 / 08

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