vendredi 15 août 2008

Les coups bas du bistouri

santé . Certains chirurgiens ne veulent pas s’acquitter de la redevance qu’ils doivent verser à l’hôpital dans le cadre de leur activité libérale. Accentuant le déficit financier.

Depuis la fin mai, une poignée de praticiens hospitaliers, tous chirurgiens, se sont lancés dans un bras de fer contre leur direction. La stratégie est simple : court-circuiter la machine, par une manoeuvre obscure digne d’un roman d’espionnage, « la rétention du codage », dans le but d’asphyxier les recettes des hôpitaux. La raison : un changement radical du mode de rémunération de leur activité libérale. Depuis janvier, les hôpitaux ne sont plus financés par une dotation globale mais directement par le remboursement de leur activité par la Sécurité sociale. Celle-ci est estimée à partir de l’enregistrement des actes (opération, consultation, etc.) par un système de codage informatique. Or les actes chirurgicaux sont assurément les plus onéreux et impliquent un personnel nombreux.

Honoraires variables

Le président du conseil d’administration de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), Jean Marie Le Guen, s’alarme de l’issue de cette crise qui « affaiblit l’hôpital public » et où quelque 3 % des 90 000 membres du personnel font perdre environ 5 millions d’euros par semaine à l’AP-HP. La facture s’élèverait déjà à plus de 80 millions d’euros. Les autres syndicats de praticiens hospitaliers (CMH, SNAM-HP, INPH et CPH) condamnent quant à eux une situation « pénalisante pour les établissements ». Le ministère de la Santé tarde pourtant à trouver une solution.

Le salaire des médecins hospitaliers est en moyenne nettement inférieur à celui des médecins exerçant leur activité dans le secteur privé. Certaines mesures ont été prises contre cette discrimination pour permettre aux praticiens hospitaliers à temps plein de pouvoir exercer aussi une activité libérale à l’hôpital. En échange, ils devaient s’acquitter d’une redevance calculée sur un pourcentage du tarif fixé par la Sécurité sociale pour les différents actes.

Mais un décret, daté du 15 mai 2008, a modifié la situation. Les redevances ne sont plus indexées sur le tarif de la Sécu, mais sur les honoraires perçus, variables selon les praticiens (40 % pour une opération en CHU et 25 % pour une consultation). Cette décision représenterait une hausse de 500 % à 1 500 % de la redevance versée aux hôpitaux par les médecins les plus gourmands.

Criant au scandale, le Syndicat national de la défense de l’exercice de la médecine libérale à l’hôpital (SNDEMLH) entamé la « grève du zèle ».

Aujourd’hui, certains services de chirurgie sont gelés et n’enregistrent aucun acte. Le mouvement est d’ampleur nationale et s’affirme avec vigueur au sein des grands hôpitaux parisiens où se concentrent les plus gros bénéficiaires du système (hôpitaux Pompidou HEGP, Cochin, Necker, Bichat). Les quelque 300 praticiens engagés continuent à toucher salaires et honoraires. Pour eux, la dette est temporaire, l’hôpital public payera les frais. Ils sont persuadés que la Sécurité sociale, avec son déficit, remboursera au centime les hôpitaux. Pour l’instant, ils se félicitent de leur coup tordu et brandissent avec fierté leurs trophées : baisse des recettes de 35 % à l’HEGP (Pompidou), de 45 % à Saint-Antoine…

insouciance des résultats du blocage

Ils ne se soucient pas des conséquences qu’aura leur blocage sur l’enregistrement des milliers d’actes en attente depuis trois mois. La petite main s’en chargera. L’AP-HP, déjà au bord de l’asphyxie financière, mendie les liquidités pour payer son personnel et doit commencer à lever des emprunts. Les médecins concernés n’entendent pas céder et menacent de partir. Ils perdraient alors le prestigieux titre de PU-PH (professeur d’université-praticien hospitalier), la proximité de l’université et du monde de la recherche.

Lucie Servin

l' Huma du 14 / 08 / 08

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