Marie-George Buffet « Les réponses d’urgence doivent s’inscrire dans des réformes d’avenir »
Par Avion 62 le samedi 11 octobre 2008, 14:35 - ACCUEIL - Lien permanent
Entretien avec Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, qui expose les propositions de son parti pour sortir de la crise, « une crise globale du capitalisme ».
Comment caractérisez-vous la crise : crise bancaire ou crise plus globale du capitalisme ?
Marie-George Buffet. Nous subissons une crise d’une exceptionnelle gravité. C’est une crise mondiale et pas seulement venue des États-Unis. Il s’agit bien sûr d’une crise financière, mais ne tombons pas dans le piège qui consiste à expliquer cette crise par l’irrationalité ou l’irresponsabilité de méchants spéculateurs. Cette analyse, c’est l’illusion qu’il suffirait de raisonner les marchés pour que tout puisse repartir comme avant. Eh bien non, cela ne marcherait pas, car la crise financière n’est qu’un symptôme d’un mal bien plus profond : la crise globale du capitalisme, une crise démocratique, alimentaire et écologique, une crise du système. Nicolas Sarkozy fait mine de distinguer capitalisme financier et capitalisme entrepreneurial. Mais ses amis les grands patrons savent que la course aux profits à deux chiffres est partout ! À Renault des milliers de licenciements sont programmés, mais le taux de profit y est de 14 % et l’augmentation des marges proposée pour 2009 est de 33 %. Tout le capitalisme est en crise. Cette crise suscite d’énormes inquiétudes et elle a déjà des répercussions. Par milliers, de jeunes ouvriers intérimaires ont déjà perdu leur travail. D’autres voient sombrer leur projet immobilier. Et les risques sont grands qu’une récession fragilise partout l’emploi, les salaires, les conditions de vie de nos concitoyens. Cette inquiétude, les communistes la partagent. Cela dit, rien n’est écrit. Des choix politiques sont à l’origine de la crise. D’autres choix sont possibles pour sortir de cette logique mortifère.
Comment jugez-vous les réactions de Nicolas Sarkozy ?
Marie-George Buffet. Les dirigeants de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy en tête, auront des comptes à rendre aux Français et aux peuples d’Europe. Non seulement leurs politiques ont créé les conditions de la crise, mais depuis un an ils ont fait comme si de rien n’était ! S’ils subissent les événements en dépensant à fonds perdu des sommes qui donnent le tournis, c’est qu’ils sont incapables de se libérer de leurs dogmes libéraux. Le projet de budget 2009 en porte la marque : retrait de l’État, suppression de 30 000 postes de fonctionnaire, cadeaux fiscaux aux plus riches, etc. Tout ce qu’ils font va aggraver cette crise. Les dirigeants européens ne tirent aucune leçon. Avec le pacte de stabilité, l’indépendance de la BCE, le dumping social et fiscal, ils se sont coupé les mains face aux marchés. Soit la politique reprend ses droits et nous aurons alors une chance d’éviter une grave crise. Soit ils continuent de biaiser, comme je l’entends à droite, mais aussi encore à gauche, en nous disant qu’il n’y a pas de marges de manoeuvre, et alors les risques seront immenses pour tous les Européens.
François Fillon appelle à l’unité nationale. Que répondez-vous ?
Marie-George Buffet. Il tente de masquer son incapacité à résoudre cette crise. Et quelle hypocrisie ! Il nous propose d’une main l’unité nationale, et de l’autre il accélère la mise en place de réformes qui sont à l’origine de la crise ! La pression à la baisse des salaires, l’abandon de l’hôpital public, les attaques contre les chômeurs, La Poste privatisée… Tout ça est non seulement d’une brutalité extrême, mais en plus alimente la course folle à la rentabilité des marchés financiers.
Quelles solutions proposez-vous ? Solutions d’urgence ? Solutions plus structurelles ?
Marie-George Buffet. Il faut agir en urgence en inscrivant ces mesures dans la perspective de grandes réformes d’avenir ! Tout doit être fait pour éviter des faillites bancaires. Mais est-ce aux contribuables de payer, ou doit-on, comme nous le proposons, renflouer ces banques mais pour donner durablement aux États le pouvoir de contrôler la politique de crédit ? Chaque euro public investi dans une banque doit être utilisé comme un levier pour changer son mode de gestion et la mettre au service d’investissements utiles à la société. Il faut que demain les salariés, les élus, les entrepreneurs aient le pouvoir de développer de nouvelles productions durables et respectueuses de l’environnement qui répondent aux besoins de leur territoire. Il faut assurer aux épargnants, comme le fait le Livret A, que leurs économies sont bien et utilement gérées. Et c’est pourquoi je milite pour la création d’un pôle financier public, un service public du crédit. Des banques nationales comme la Caisse des dépôts ou les caisses d’épargne et des banques où l’État a pris des participations comme Dexia auraient, sous l’impulsion des pouvoirs publics, à mettre en oeuvre une politique du crédit incitative pour les projets d’investissement utiles, dissuasive pour les investissements financiers. Et il faut étendre cette maîtrise populaire en donnant aux salariés de nouveaux pouvoirs dans la gestion des entreprises. Et comme nous l’avons répété le 27 septembre, il faut aussi augmenter les salaires et les retraites. Il faut protéger les services publics comme La Poste, investir dans le logement, dans les transports, dans la recherche, dans l’éducation… Toutes ces mesures, ce seront autant de milliards utilement dépensés qui n’iront pas alimenter les marchés financiers.
Quel rôle doit jouer l’Europe ?
Marie-George Buffet. Il faut bousculer et refonder l’Europe ! Les « non » au TCE et le « non » irlandais au traité de Lisbonne montrent que les peuples ont compris que cette Europe libérale nous menait au bord du précipice. Je pense à la BCE qui devrait, sous le contrôle des gouvernements et du suffrage universel, contribuer au développement durable. Je pense à instaurer des politiques en faveur d’une harmonisation sociale par le haut et d’une politique industrielle et de recherche extrêmement ambitieuse. Et il faudra aller plus loin, reposer la question de l’organisation mondiale du commerce, poser la question d’une monnaie commune qui ne soit pas le dollar… On nous dit que l’on ne trouve pas quelques milliards pour le développement de l’Afrique. Mais on en trouve des centaines pour tenter de réparer le gouffre causé par la spéculation !
Quelles initiatives comptez-vous prendre pour faire avancer ces solutions ?
Marie-George Buffet. Un conseil national extraordinaire du PCF se réunit mardi pour affiner nos propositions et décider d’initiatives politiques. D’ores et déjà j’invite les camarades à distribuer ce week-end les tracts mis à leur disposition et à organiser des réunions publiques locales : vous savez, nos concitoyens ont une grande soif de comprendre ! Et j’invite à continuer nos batailles pour La Poste, pour l’emploi dans l’automobile, pour l’éducation nationale !
Le PS semble en rester à des mesures de correction du système. Comment comptez-vous faire prévaloir vos solutions ?
Marie-George Buffet. Un fossé se creuse entre les enjeux de cette crise, l’état de l’opinion, et puis l’état de la gauche. Le sondage publié dans l’Humanité Dimanche montre qu’une majorité de Français pensent qu’il faut transformer le système. Dans toutes les sensibilités de gauche, des hommes et des femmes se demandent comment dépasser cette logique capitaliste. Il faut donc questionner l’ensemble des forces de gauche, et je me félicite que, le 21 octobre, nous tenions la première rencontre nationale des partis de gauche sur l’alternative politique dans la mondialisation. Ce sera une réunion riche, avec des interventions d’économistes, de syndicalistes et de responsables de chacune des forces de gauche présentes. Le Parti communiste y apportera de véritables propositions alternatives. Au-delà, nous avons à travailler à un projet au niveau des enjeux actuels et ouvrant la voie à une véritable politique de changement. Il y a pour le Parti communiste français un positionnement à adopter. Sommes-nous, avec notre affaiblissement, un parti voué à la contestation et à porter la parole des plus démunis, ou sommes-nous un parti devant contribuer au développement du mouvement social et à l’intervention citoyenne pour constituer une majorité politique et un gouvernement qui mette en oeuvre un projet de transformation ? Je souhaite que notre 34e Congrès choisisse cette voie, d’un parti portant une ambition majoritaire. Et pour cela il faut s’acharner à construire des fronts progressistes dans les luttes et sur le terrain des idées… Je me félicite de la pétition commune de la gauche contre la privatisation de La Poste. Ce sont de tels fronts qui pourront nous permettre de constituer progressivement un front progressiste majoritaire en France. Et avec les élections européennes, notre rôle sera d’amorcer la construction de fronts progressistes européens. C’est mon opinion personnelle, mais je pense que l’enjeu essentiel du Congrès est de répondre à la question : « Quelle est l’ambition, l’objectif, la fonction du PCF dans l’état actuel de la gauche ? »
Les réflexions que vous aviez engagées jusque-là vous paraissent-elles au niveau de la crise actuelle ?
Marie-George Buffet. Cette crise, que je déplore évidemment tant elle pourra être dramatique pour notre peuple, met en relief la modernité du combat des communistes contre la loi de l’argent. Bien sûr, ce sera aux communistes de choisir leur projet de base commune. Celui que le Conseil national a adopté est évidemment à enrichir considérablement. Mais il apporte déjà des réponses bien ancrées dans les réalités d’aujourd’hui. Il apporte de nouvelles pistes : celle de la maîtrise des marchés, d’un nouveau mode de développement, de la démocratie, de la façon de construire l’unité des exploités et des dominés face à la classe dominante.
Et dans ce contexte, comment voyez-vous l’avenir du PCF ?
Marie-George Buffet. Si l’on avait des doutes sur le besoin d’un parti comme le nôtre, je crois qu’ils seraient aujourd’hui levés. Bien sûr, ce parti est à transformer profondément, et j’appelle pour cela les camarades à mettre dans le débat toutes leurs idées pouvant enrichir notre texte de congrès. Mais il y a besoin d’une force politique qui porte une visée d’émancipation humaine, une analyse du système capitaliste et des moyens de le dépasser. Un parti capable d’ancrer ses combats dans le quotidien et de porter un projet politique de changement : c’est notre originalité par rapport à l’extrême gauche et au Parti socialiste. Aussi je souhaite sur cette question du parti le plus large bouillonnement.
Entretien réalisé par Olivier Mayer et Jean-Paul Piérot
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