Les dirigeants occidentaux viennent de dépenser des centaines de milliards pour sauver le système bancaire en capilotade. Des nationalisations coûteuses, de spectaculaires garanties intégrales des dépôts bancaires impliquant plusieurs centaines de milliards d’euros publics et des injections massives de la Banque centrale européenne (BCE) n’y ont rien fait. En dépit de ce forcing pour préserver les marchés financiers et leur préminence les Bourses baissent. Et la menace d’une récession sévère est de plus en plus prégnante.
L’Europe pompier pyromane
Pour tenter de nettoyer le marché des monceaux de titres pourris, jadis hautement spéculatifs et profitables, qui encombrent les portefeuilles des banques, les Européens ont choisi d’agir chacun de leur côté. La création d’un fonds dépotoir à l’échelon de l’UE, sorte de plan Paulson à l’européenne, un instant envisagée, a été, pour l’heure, écartée. Mais la philosophie est la même : il s’agit de transférer toute la charge de la crise sur les épaules du contribuable en entrant au capital du franco-belge Dexia pour 3 milliards d’euros ou en sauvant des eaux l’allemand Hypo Real Estate (HRE) pour près de 50 milliards d’euros.
Mais ces interventions massives sont aussi le signe de la poursuite de la chute des dominos bancaires. Les différentes capitales européennes n’ont donc pu en rester là. Et elles se sont lancées dans une sorte de surenchère à qui accorderait la meilleure garantie des dépôts, engageant des sommes encore plus astronomiques (entre 500 et 1 000 milliards d’euros pour la seule Allemagne) afin de prévenir que les épargnants pris de panique ne fassent la queue aux guichets pour retirer leurs avoirs.
Au total, ces annonces assurant que tout sera fait pour sauver le secteur bancaire, fusse au prix de ruiner les finances publiques et de faire exploser les sacro-saints critères de Maastricht, sont à double tranchant, du point de vue même des autorités qui entendent rétablir coûte que coûte les équilibres sur les marchés financiers. Car elles révèlent l’ampleur de la diffusion des titres pourris dans tout le système bancaire. Si les autorités prennent de telles mesures d’exception n’est-ce pas qu’elles ont connaissance d’une situation plus dégradée encore que ce que l’on pouvait soupçonner ? D’où la rechute spectaculaire des places boursières lundi.
Un plan Paulson peu convaincant
Le plan Paulson qui prévoit d’accorder 700 milliards de dollars (environ 500 milliards d’euros) pour créer une structure publique dite de défaisance rachetant les titres pourris qui encombrent massivement les coffres des banques US, n’a eu, pour l’heure aucun effet sur les marchés. Pis, Wall Street n’a pas cessé de reculer après son adoption vendredi dernier.
À cela deux raisons essentielles : d’abord l’effort gigantesque demandé aux contribuables des États-Unis (on évalue à 10 % du PIB le déficit budgétaire prévisible des États-Unis pour l’an prochain) trahit l’ampleur de la dissémination des créances douteuses et fait craindre que l’on ne mesure pas encore le degré de « pourrissement » phénoménal du système bancaire. Ensuite, le plan lui-même pourrait s’avérer contre-productif. Car s’il vole au secours des banques en reprenant leurs créances douteuses, il ne s’attaque pas à la racine de la crise, à savoir l’écroulement du marché immobilier, font remarquer de nombreux experts. Rien n’est prévu en effet pour venir en aide aux ménages surendettés qui éprouvent de plus en plus de difficultés à payer leurs traites. Ceux-là pourraient ainsi venir rapidement s’ajouter par centaines de milliers à ces quelque deux millions de familles qui ont déjà été expulsées de leurs logements depuis le début de la crise en 2006. Résultats : les prix des logements devraient continuer à baisser. Le CEPR (Center for econonomy and policy research) de Washington estime que, dans ces conditions, les prix de l’immobilier devraient encore baisser de 15 % à 20 % supplémentaires d’ici l’an prochain. D’où de nouvelles pertes massives pour… les banques.
Le tonneau des Danaïdes des injections de la Banque centrale européenne
Depuis le début de la crise financière, il y a un an, la Banque centrale européenne (BCE) a injecté plus de 1 000 milliards d’euros de liquidités sur les marchés pour tenter de voler au secours des banques en difficultés. Ces injections massives correspondent à des périodes très critiques comme celle de ces derniers jours, où les banques commerciales classiques ne parviennent plus à se refinancer entre elles. C’est-à-dire qu’elles ne se prêtent plus d’argent en se servant de leurs propres réserves comme elles le faisaient auparavant. Car elles se soupçonnent mutuellement de disposer de portefeuilles largement avariés. Et donc de vouloir échanger du bon argent contre des titres en fait « pourris » parce qu’issus, par exemple, d’opérations spéculatives sur les subprimes. La BCE tente alors de réguler le marché en offrant aux banques les liquidités qu’elles ne parviennent plus à se procurer.
Autrement dit, elle met à disposition des banques des crédits bon marché en espérant que cette injection leur permettra d’offrir à leur tour des prêts à leurs clients et donc de combattre le risque de tarissement du crédit qui menace toute l’économie, létant de rétablir la fluidité sur le marché interbancaire.
Le problème est que les tombereaux d’euros versés ne parviennent pas à dégripper les rouages de la machine. Car la quantité de réserves avariées dispersées dans les coffres des banques apparaît phénoménale. À la hauteur de la frénésie spéculative qui a été pratiquée si longtemps et avec une ardeur décuplée dans la dernière période, par quasiment tous les acteurs de la planète bancaire. Résultat : le soupçon s’incruste et le marché interbancaire reste paralysé, en dépit des interventions de la BCE. Les injections massives sont à chaque fois englouties comme si elles étaient versées dans un vulgaire tonneau des Danaïdes. Avec, comme principal effet collatéral, la relance de toutes les tensions inflationnistes et (ou) la dévalorisation de la monnaie unique.
Des salaires trop bas
Si la crise des subprimes est partie aux États-Unis, c’est que les ménages n’ont pas vu leurs salaires augmenter à la même vitesse que les taux d’intérêt de leur crédit immobilier. Ces dernières années, de nombreuses familles ont trouvé d’autres moyens pour augmenter leur niveau de vie que d’emprunter. Ne disposant de garantie suffisante, ces familles ont gagé leur créance sur le prix de leur domicile, dont le prix ne cessait d’augmenter, du fait de la spéculation immobilière.
La rémunération des salariés est cruciale dans le traitement de cette crise. Depuis le début des années 1980, dans les pays développés, la part des salaires dans la valeur ajoutée n’a cessé de baisser, alors que celle du capital et particulièrement du capital financier n’a cessé de croître. « On ne peut pas faire pression en permanence sur l’emploi, les salaires, toutes les formes de rémunération, y compris la protection sociale, et les dépenses publiques, sans, de l’autre côté, nourrir la croissance financière », rappelait dans nos colonnes Jean-Christophe Le Duigou (voir notre édition du 29 septembre).
Les solutions apportées temporairement par les gouvernements américain et de l’Union européenne (UE) ne remettent pas en cause fondamentalement l’emprise des marchés financiers, et ne font que remettre en selle le marché financier. Si, à terme, les institutions financières étaient renflouées, la question des salaires comme moteur de la croissance continue d’être posée. Donner les moyens à la consommation de repartir sera l’un des leviers pour faire repartir la croissance.
Décryptage réalisé par Bruno Odent et Gaël De Santis
l' Huma du 08 / 10 / 08
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