dimanche 3 février 2008

Dans une zone de turbulences .

Entretien avec Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’université Lille-II, et directeur du Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales.

Comment analysez-vous les difficultés que semble rencontrer Nicolas Sarkozy en ce moment ?

Frédéric Sawicki. C’est un mouvement d’érosion amorcé dès le mois de décembre. On peut invoquer le décalage entre les promesses, comme celle sur le pouvoir d’achat, et les réalisations effectives, la mise en scène de sa vie privée qui désoriente une partie de l’électorat de la droite traditionnelle attaché à une conception en majesté du pouvoir, les déceptions - catégorielles : chauffeurs de taxis, chercheurs et étudiants, ouvriers et employés qui n’ont pas la possibilité de faire des heures supplémentaires. S’ajoutent les cadeaux fiscaux dont chacun a bien vu qu’ils ont profité aux plus aisés. Tout cela mis bout à bout, une prise de conscience commence à se faire. Classiquement, c’est le premier ministre qui subit le premier la baisse de popularité. Mais Nicolas Sarkozy récupère la monnaie de sa pièce. Il ne peut pas apparaître comme celui qui contrôle tout, qui est omniprésent et s’étonner, quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, que les Français le sanctionnent. Une partie de son image tient à sa posture, au fait de se présenter comme un super président sur tous les fronts, un peu démiurge, faiseur de miracles : libération des infirmière bulgares, rencontre avec les pêcheurs pour leur expliquer qu’à Bruxelles on va voir ce qu’on va voir…, etc. Cette mise en scène a accrédité l’idée d’un président qui peut tout. Il a lui même tissé le piège dans lequel il est en train de se prendre les pieds.

Pensez-vous que cela aura un impact sur les municipales ?

Frédéric Sawicki. Les enjeux locaux restent importants dans ces élections. Le vote sanction ne joue que sur une frange limitée des électeurs mais, dans une situation serrée, il peut faire la différence. Là où la droite n’est pas très bien implantée, notamment dans les villes qui ont basculé lors des dernières municipales, les choses s’annoncent délicates pour elle. Il est trop tôt pour faire des pronostics, mais les municipales seront un bon test pour mesurer l’ampleur du discrédit de Sarkozy.

Le mécontentement social semble profond…

Frédéric Sawicki. Je suis frappé par la courbe des grèves dans le secteur privé, y compris ceux traditionnellement peu touchés par les arrêts de travail. C’est tout aussi intéressant à souligner que les sondages. Contrairement à une cote de popularité, un mouvement comme celui d’aujourd’hui dans le commerce n’est pas un élément conjoncturel. Ce début de mobilisation sociale laisse penser que l’on qu’on va entrer dans une zone de turbulences qui aura forcément des effets politiques à terme. C’est une situation paradoxale qui ne profitera pas nécessairement à la gauche. Car il faut qu’elle soit capable de fédérer et de rendre l’espoir face à ce que met en place le gouvernement Sarkozy et à certaines des mesures préconisées par exemple par le rapport Attali. Il faut que la gauche soit capable de construire un discours qui ne soit pas seulement général et de dénonciation mais qui se traduise par des propositions concrètes. Pour elle, le risque existe que, s’appuyant sur cette baisse de popularité de Nicolas Sarkozy et sur la perspective de bons résultats aux municipales, elle considère qu’elle a fait son travail. Or ce mécontentement ne signifie pas que les idées de gauche progressent en France. Comment éviter qu’il se traduise par une attitude de désespoir qui pourrait profiter à l’extrême droite ? La dernière présidentielle a montré qu’il peut y avoir une alternance à droite. C’est ce qui peut se passer encore demain.

Entretien réalisé par Jacqueline Sellem

l' Huma du 02 / 02 / 08

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