dimanche 3 février 2008

Sarkozysme : Les raisons de la décrue .

Droite . Élu avec une côte de popularité très forte, Sarkozy doit désormais compter avec l’installation par teintes successives d’une déception à la mesure des attentes sur lesquelles avait été bâtie sa campagne.

Les Français sont des veaux ? Le constat est attribué à de Gaulle. La pertinence du propos n’est cependant toujours pas établie. Seule certitude : ils ne sont pas des moutons. Nicolas Sarkozy est en train d’en faire l’expérience quel- ques mois seulement après son élection à la présidence de la République. Les sondages en attestent. Non seulement l’état de grâce est terminé, mais l’hôte de l’Élysée est encalminé par une pratique politique à l’emporte-pièce, teintée d’un démago-autoritarisme de moins en moins dissimulé. Son porte-parole, David Martinon ne vient-il pas d’avouer que le président se moque comme de sa première chemise de l’opinion des Français ? Des Français qui commencent à douter d’être au coeur des réelles préoccupations de l’actuel représentant de la droite. Une décrue en forme de désamour qui semble calquée sur celle qui avait atteint Jacques Chirac en 1995-1996, neuf mois, lui aussi, après son accession à la magistrature suprême. Élu sur la base de la dénonciation de la fracture sociale, il avait été emporté dans le tourbillon des luttes sociales, et son premier ministre de l’époque, Alain Juppé, droit dans ses bottes, en avait payé le prix. Cash.

Des promesses écornées

Dès le mois de septembre, les promesses de rupture que les électeurs avaient entendues, les déclarations style « je serai le président du pouvoir d’achat », avaient été sérieusement écornées par les premières décisions. Et les premières frasques. Le cadeau fiscal de 14 milliards d’euros (dont 7 milliards pour les plus riches et 7 autres pour des exonérations sociales et des défiscalisations pour les mêmes) avait douché la partie la plus populaire de l’électorat qu’il avait rassemblé quelques semaines plus tôt. Depuis, le décrochage concerne aussi les couches moyennes et les professions intermédiaires. Une tendance qui se confirme d’un mois sur l’autre sur les champs de l’analyse sociologique : - 11 % parmi les ouvriers ; - 14 % parmi les couches moyennes. L’augmentation du pouvoir d’achat n’est pas au rendez-vous promis, alors que la hausse des prix du carburant, du logement, ou des produits alimentaires sonne en creux dans les porte-monnaie cacochymes. Les Français ne sont pas pour autant sortis du marécage idéologique dans lequel la crise de la politique les a plongés. On peut cependant observer qu’à la déception de ne voir rien venir qui soit de nature à changer leur vie, viennent s’additionner en petites touches, comme un effet boule-de-neige, des éléments d’une présidence bling-bling qui touche selon eux à l’obscénité de l’argent roi : les - vacances de milliardaire, la connivence affichée avec les milliardaires et les financiers du top ten, la vie privée érigée en méthode people de gouvernance, la mise en question des institutions de la République au bénéfice d’une monarchie de parvenu… Et un activisme d’autant plus lassant qu’il donne le sentiment d’une campagne électorale permanente quand on attend du sonnant et du trébuchant.

L’argent ? « Les caisses sont vides », va répétant l’Élysée et Matignon, comme une fin de non-recevoir aux revendications salariales. « Travailler plus pour gagner plus » ? Mais les heures sup ne sont pas automatiques, et le troc proposé des RTT mutile l’aspiration à un temps pour soi vécu comme un progrès d’humanité. Mais les milliards s’envolent en Bourse avec l’expérience des derniers jours à propos de l’affaire de la Société générale. Ce qui n’empêche pas le président d’apparaître comme le président du pouvoir d’achat, mais c’est le sien dont il s’agit. Et puis comme en touches impressionnistes la mise en pratique des réformes. Celle des retraites notamment. Au départ, une conscience assez flou des Français. Un mouvement social, en particulier parmi les fonctionnaires disposant d’un régime spécial que l’opinion n’a ni rejeté ni vraiment soutenu. Mais avec le sentiment grandissant d’une manipulation préparant des lendemains qui déchanteront pour tous loin de la transparence attendue. Le pire est peut-être ailleurs : dans la provocation permanente. Ainsi le rapport Attali, dont le président dit partagé la quasi-totalité des suggestions, qui a jeté un trouble parmi des catégories ou des professions, comme les chauffeurs de taxis. Du coup, c’est la précarité des conditions de travail de la plupart d’entre eux qui est mise en lumière, jouant comme une prise de conscience d’une nécessaire solidarité face à une précarité d’une plus grande ampleur que celle qui était jusque-là pensée. Touches impressionnistes encore, sur des champs parfois très différents : pêle-mêle, la mise en cause de la laïcité dans le discours de Latran, les rumeurs de privatisation des chaînes de télé - publiques…

Ce détricotage de la France des Lumières arrive au mauvais moment pour la droite, à cinq semaines de l’échéance électorale des municipales et des cantonales. Sans doute cela explique-t-il le brutal retrait de cette scène de la part du président. Et de l’impressionnant nombre de listes camouflages où soit la droite se présente masquée, soit refuse d’assumer le bilan. Reste que si les enjeux sont d’évidence locaux, le scrutin, en cas de victoire de la gauche, aura une valeur de test. Et aussi de résistance. Quant à la perspective…

Dominique Bègles

l' Huma du 02 /02 / 08

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