vendredi 1 février 2008

Le fric foot .

Editorial par Jean-Emmanuel Ducoin

Au stade suprême du capitalisme, lorsque la nouvelle religion ultralibérale aura épuisé son pouvoir liturgique, peut-être ne subsistera-t-il que deux passions populaires sacralisées qu’aucune révolution humaine n’aura pu renverser : le foot et la télé. À l’heure de l’hyper-spectacularisation des théâtres sportifs, scénarisés à outrance, admettons que le sport a définitivement cessé d’être ce terrain d’expérimentation du néocapitalisme qu’il était encore dans les années quatre-vingt. En ce début de XXIe siècle, il est devenu l’un des coeurs névralgiques de la globalisation à marche forcée. Cessons de jouer les naïfs : le bien-être physique

et collectif des individus s’est progressivement effacé derrière la musculation des entreprises et la consolidation des investissements financiers. Telle est la réalité du monde dont on nous dit qu’il est achevé, hermétique, organisé une fois pour toutes. Balle au centre ?

L’immoralité et le dévoiement de la geste sportive ont toujours existé. Ce qui a changé, c’est la nature de ces liaisons dangereuses comme son degré d’incandescence. Inutile donc de s’étonner que l’exclusivité des spectacles sportifs soit devenue un enjeu majeur de la bataille audiovisuelle. N’oublions pas que ce sont bien les droits de retransmission des matchs de la Ligue 1 qui ont valu à TPS de se faire racheter à bas prix par Canal Plus. Sans foot, plus de raison d’être. Or l’image télévisuelle, qui charrie de belles audiences et d’abondantes récoltes publicitaires, s’avère si structurante désormais qu’elle décide de tout, ou presque, notamment d’une partie non négligeable de la répartition des droits entre clubs,en faveur des plus puissants,cela va sans dire..

Dès lors, la logique commerciale du monde des affaires a imposé ses exigences. La télévision,

aux mains d’investisseurs peu scrupuleux, s’est ainsi transformée en un acteur économique incontournable. Rien d’étonnant. Le sport, comme en atteste l’évolution récente du rugby, reste une valeur sûre. En tant qu’activité économique, il connaît des taux

de croissance digne de la Chine, de 10 à 15 % l’an.

Il est même passé, dans notre pays, de 0,5 % du PIB à la fin des années soixante-dix à plus de 1,5 % en 2005 ! En organisant la vente par « lots » des droits

de retransmission, dont une part pourrait revenir aux marchés émergents que sont Internet ou la téléphonie mobile, la Ligue professionnelle de football (LFP) espère recueillir 700 millions d’euros de profits.

Le moment est donc crucial, puisque l’argent versé par les chaînes représente les deux tiers des budgets

des clubs de l’élite… Pendant ce temps-là, malgré la « taxe Buffet » qui redistribue automatiquement 5 % de ces droit le monde amateur et associatif s’assèche.

Le mode de « régulation » du sport, livré à une espèce de productivisme des marchés pousse donc à tous les excès. Accroissement des masses salariales, transferts faramineux, contrats d’image, mise en Bourse des grands clubs européens, tentatives de création de « ligues fermées » qui réduiraient la glorieuse incertitude

des résultats, déficits pharaoniques, appauvrissement des filières de formation qui ne servent plus qu’à la fabrication « produits » exportables, etc. En Italie, certains « petits clubs », dont aucune chaîne de télévision n’a voulu acheter les droits de retransmission, sont au bord du gouffre… L’âge d’or des « vingt glorieuses »,au cours des quelles le temps d’exposition du football à la télévision comme les droits de retransmission des matchs ont atteint des niveaux record, est-il dépassé ? Pas sûr. Mais ce système artificiel de type de revenus, collé à la « valeur marchande » et trop inégalitaire, brise toute possibilité de repenser la diversification des ressources, pourtant indispensable. Car le légitime intérêt du public pour la performance sportive suppose un affrontement loyal où les capitaux et le fric n’ont rien à faire, sauf à violer encore un peu plus les dernières traces d’éthique. Comme le dit le patron de l’UEFA, Michel Platini : « Le foot n’est pas qu’une tirelire. » Puisse-t-il être entendu.

l' Huma du 31 / 01 / 08

Aucun commentaire: