vendredi 1 février 2008

Quand le football se cramponne à l'argent .

Football . Plus de 700 millions d’euros ? Ce soir, la Ligue 1 saura combien elle va toucher pour la diffusion de ses matchs entre 2008 et 2012. Mais la course aux profits ne s’arrête pas là.

Le ballon rond tourne sur la roulette des droits télé. Ce soir, les clubs de Ligue 1 vont savoir combien les groupes de télécommunication ont misé pour diffuser leurs matchs à la télé, sur Internet ou téléphone portable, durant les quatre prochaines saisons. L’instant est décisif. L’argent versé par les chaînes représente deux tiers des budgets des écuries de l’élite du foot français. Jusqu’à présent, la banque a toujours sauté. Ou plutôt les finances de Canal Plus. En 2002, la chaîne cryptée a versé 420 millions par saison pour l’exclusivité des matchs entre 2002 et 2005, puis une moyenne de 600 millions d’euros pour les trois dernières saisons. Cette fois, la Ligue de foot professionnel (LFP) a tellement saucissonné son offre qu’elle en attend un minimum de 700 millions d’euros par saison. Mais ne croyez pas qu’elle s’arrêtera là.

Où sont passés les millions ?

Une chose est sûre, le 1,8 milliard d’euros versé par Canal Plus ces trois dernières années ne s’est pas vraiment retrouvé au fond des cages. À la moyenne de buts par match, la Ligue 1 (2,3) reste loin derrière ses rivales allemandes (2,7), italienne (2,6), anglaise et espagnole (2,5). Les droits télé ont d’abord servi à éponger les déficits creusés par des transferts dispendieux. Au début du siècle, les clubs de L1 affichaient 150 millions de pertes. En 2006, le bilan est devenu excédentaire (+ 27 millions). Quelques clubs ont aussi investi dans du dur pour préparer l’avenir : amélioration ou construction de stade, nouveau siège ou centre de formation. « Mais l’essentiel de l’augmentation des droits entre 2002-2005 et 2005-2008 (soit 180 millions par saison) est parti dans les salaires des joueurs », révèle l’économiste Frédéric Bolotny (1).

Malgré leurs promesses de maîtrise de leur masse salariale, les patrons de club ont fait progresser le salaire moyen d’un joueur de L1 de 40 % ces deux dernières années (24 200 euros). « Cela nous a permis de conserver en France des internationaux ou d’en faire venir de nouveaux, objecte Philippe Diallo, directeur général de l’Union des clubs de foot pro (UCPF). Il y a trois ans, Djibril Cissé jouait à Liverpool. Aujourd’hui, il est à Marseille. » Philippe Piat, président de l’Union nationale des footballeurs professionnels, met un bémol. « L’augmentation des droits télé a eu pour effet d’augmenter le nombre de transferts. Un même joueur change plus souvent de club. Cela a pu accroître les malversations ou les commissions occultes… »

À quoi servira le nouveau pactole ?

« L’assainissement de nos comptes ayant abouti, reste deux objectifs : bâtir les équipes qu’attendent nos supporters et poursuivre nos efforts dans l’amélioration de nos infrastructures », explique Philippe Diallo, de l’UCPF. L’inflation des salaires a de beaux jours devant elle. D’où la préoccupation de l’actuel secrétaire d’État aux Sports. Bernard Laporte veut revoir la législation concernant les agents de joueurs. Histoire d’éviter que les euros versés par les télés ne finissent sur des comptes offshore. L’autre souci des clubs français est leur « télé-dépendance ». En 1999, 33 % de leur budget provenaient des sous de Canal Plus. Aujourd’hui, c’est 57 %. Il faut donc diversifier les sources de profits. Le nouveau credo des clubs : augmenter le nombre de spectateurs et en faire des consommateurs. Frédéric Bolotny : « Il y a trois fois moins de spectateurs en L1 que dans les stades d’Allemagne ou d’Angleterre. Et quand il y prend place, le spectateur français débourse en moyenne moins d’un euro par match en boisson, sandwich ou produits dérivés. Le retard financier des clubs français provient de cette faible recette moyenne par spectateur. » D’où les projets plus ou moins avancés d’amélioration ou de construction de stades, plus confortables et meil-leurs vide-poches, au Mans, à Nice, Lens, Lyon, Grenoble, Dijon, Marseille, Nancy ou Valenciennes.

La course de fonds

Mais les droits télé ne suffiront pas à financer ce développement. D’où l’idée de lancer une candidature tricolore à l’organisation du championnat d’Europe des nations 2016. Une belle pompe à finances publiques et privées. Bernard Laporte vient de nommer une « commission stade » dirigée par Philippe Seguin, président de la Cour des comptes, pour recenser les - besoins.

Les collectivités locales ne veulent pas être les dindons de la farce. « Comment tout cela sera-t-il financé, se demande Cyril Cloup, de l’Association des élus en charge du sport (Andes) ? On espère que l’on sera consulté en amont des décisions. Car on a vu comment ça s’est passé pour la Coupe du monde de rugby. » L’an dernier, les villes avaient dû banquer pour accueillir la compétition.

Sur d’autres dossiers, le monde du foot veut aller vite. Quitte à bousculer les législations. À coups de recours devant la justice européenne, les patrons de clubs ont gagné le droit de jouer leurs équipes en Bourse. Cette fois, ils s’attaquent au monopole de la Française des jeux. Sous la pression de Bruxelles, le gouvernement devrait rapidement céder sur l’arrivée des sites de paris en ligne, autant de nouveaux sponsors sur les maillots de la L1. Et tant pis pour les risques de corruption et de matchs truqués.

Tout est bon à vendre. Y compris la fameuse formation « à la française ». « Le foot français forme à tour de bras non pas pour faire jouer ses nouveaux footballeurs, mais pour les vendre. La formation sert à faire du business », déplore Philippe Piat. Le ballon rond n’en finit pas de rouler derrière le pognon.

(1) Economiste au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges, auteur avec Guillaume Gouze de Exploitation des enceintes sportives, chez Eurostat.

Stéphane Guérard

l' Huma du 31 / 01 / 08

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