Hautmont . Le vent est retombé, on ramasse les gravats, on bâche au plus vite les maisons décoiffées et on fait le compte des dégâts. Hélas, celui des aides est vite fait. Reportage.
Hautmont (Nord),
envoyée spéciale.
Elle traverse la rue déchirée, une fleur à la main. Au milieu des débris, la corolle impeccable fait figure de rameau rescapé du déluge. Pas un pétale ne manque. Le pot est nickel et Nadine sourit. « J’ai fêté mes soixante-dix-neuf ans samedi, alors j’ai été fleurie… » Dimanche, la tornade a tout emporté. Les autres fleurs et le petit verger, le toit et les trois murs des deux chambres du haut. La porte du garage, puis le garage lui-même. Les deux petites poubelles, les breloques, les cageots de journaux et peut-être une robe, que Nadine espère retrouver dans l’amas de choses entassées sur le trottoir. Sa maison éventrée présente ses entrailles au ciel et offre son intimité à la vue des badauds. Pourtant Nadine sourit. « On m’a interdit de pleurer », dit-elle avec l’ironie des personnes âgées qui savent narguer le sort. Mais au rouge qui marque ses pommettes et borde ses yeux bleus, on devine qu’elle n’a pas complètement obéi. La rue Aimé-Collet, à Haumont, est comme elle. Elle sourit pour se donner du courage mais porte à jamais le deuil de vies balayées par un gros coup de vent, dimanche, à 23 heures. C’est l’une des plus touchée de la ville. La voir suffit à mesurer la violence du tourbillon.
rues et équipements détruits
En béton, les poteaux sont tombés, écrasant les voitures dont les vitres éclatées tapissent la chaussée. En fer, ils ont plié comme des arcs. Les câbles électriques pendouillent à hauteur de tête. Des toits se sont envolés, des murs sont tombés. Des briques explosées colorent les trottoirs de rouge et s’entassent avec d’autres vestiges. Une poile en téflon, un couvercle en Pirex ou un sac de sport. « Plus on monte, plus c’est pire », prévient Noël, du foyer de travailleurs d’à côté, venu serrer les pognes des copains du quartier. Il dit vrai. Tout en haut, le lycée, le stade et les pavillons locatifs sont en ruine. Une centaine de maisons devront être rasées pour être reconstruites. Profondément écorchée à sa base, la rue Aimé-Collet est broyée à sa cime. La maison de Nadine se trouve à mi-chemin. Pour elle comme pour tous, envisager la suite est un exercice douloureux.
Elle voudrait rester là, et tant pis pour le désordre. « Je vis ici depuis cinquante-neuf ans et je me suis toujours débrouillée pour être indépendante », raconte-t-elle, roulant des yeux comme si le mot était une gourmandise. « Mais la cheminée risque de s’effondrer… » Le foyer d’accueil mis à disposition par la mairie ne la tente guère. Elle préférerait encore une caravane dans le jardin. À court terme, ce sont ses proches qui vont l’héberger.
La rue entière paraît ne pouvoir compter que sur son entourage. Faute d’en avoir reçu le feu vert des autorités, ni la Croix-Rouge, ni les pompiers ne peuvent aider. La police assure un filtrage afin d’éviter les pilleurs, et des entreprises de travaux publics ont avancé les pelleteuses. Pour le reste, ce sont des bénévoles qui se sont mis à la tâche. Le va-et-vient des brouettes, des balais et des pelles n’arrête pas. Parents, amis, voisins sont venus aider à bâcher les toitures ou à déménager les meubles.
Le soutien, parfois, arrive de plus loin. Laurent et Jean-François sont d’un autre quartier. L’un était en Alsace et l’autre à Orléans au moment de la tornade. Ils sont rentrés illico pour aider, « parce que c’est notre ville ». Alain, lui, est de Valenciennes. « Je reste jusqu’à ce soir. S’il faut, je reviendrai demain. » Pour débiter un arbre ou pour sauver les meubles, la solidarité s’impose comme une évidence. Jocelyne regarde avec angoisse la commode que deux gars passent par la fenêtre du premier et déposent dans le bras d’une pelleteuse. « C’est celle de la mamie… elle a près de cent ans. » Aidée de ses frères et de soeurs, elle sait où stocker le mobilier. Son voisin, lui, n’en a aucune idée. « Il vit seul et sa famille est en vacances », explique-t-elle. « On va se débrouiller, j’ai déjà fait passer le mot qu’il cherchait un local… »
Problèmes de relogement ou de conservation des biens : les habitants de la rue ne sont pas au bout de leur peine. La réaction des assurances, surtout, focalise leurs inquiétudes.
ces familles
sans assurance
Alors que le chômage frappe 30 % des habitants d’Haumont, la précarité laisse apparaître des cicatrices antérieures à celles de la tornade. Michel est expert clients et arpente la rue pour proposer ses conseils. « J’ai déjà recensé deux familles qui n’avaient pas de police d’assurance. Celles-là n’ont plus que leurs yeux pour pleurer… »
Une canette à la main, Édith remonte la rue au bras de sa fille, poussant le landau de son petit-fils. Elle revient à l’instant de son agence d’assurances. Quarante-quatre ans que la famille cotise à cette compagnie. « Mon mari y a assuré sa première motocyclette, à l’âge de treize ans et jusqu’en mai dernier nous avons toujours payé. » Mais depuis le printemps, un problème de trésorerie l’empêche d’honorer la facture. « Ils n’ont jamais résilié mon contrat. Mais maintenant, ils disent qu’ils ne me couvriront pas. » Édith va remuer ciel et terre. « Je suis en accession à la propriété. Cette maison, c’était… c’est notre dessein, notre choix, notre projet. On va la rafistoler. »
Décidés à remonter leurs manches et à se serrer les coudes, les riverains de la rue Aimé-Collet laissent aussi filtrer de la colère. À l’égard des curieux qui sont venus, appareils photo à la main, les « shooter comme au zoo », dès le lundi matin. À l’égard de l’armée, qui n’a pas encore donné l’ordre à ses troupes de venir les assister. « Qu’est-ce qu’ils font les soldats ? Ça sert à quoi d’avoir des casernes ? » lâche un homme qui a dû faire appel à une entreprise pour bâcher sa toiture. Et plus encore, vis-à-vis de Michèle Alliot-Marie. La ministre est passée lundi après-midi. Marie-France n’a pas goûté le geste. « Faire acte de solidarité, ça veut dire descendre dans la rue », entame-t-elle, la gorge et les dents serrées. « Elle, elle a défilé en voiture. » Ses griefs ne s’arrêtent pas à cela. « Pour nous, on a laissé circuler les badauds. Pour elle, les flics ont viré tout le monde, même un sinistré qui balayait les gravats devant chez lui. » La ministre, enfin, s’est déplacée « avec douze voitures, six motards et un hélicoptère. Je ne sais pas combien ça a coûté. Mais une petite enveloppe aurait été plus utile au quartier. »
Marie-Noëlle Bertrand Photos de Pierre Trovel
l' Huma du 06 / 08 / 08
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire